mercredi 1 mai 2013

chapitre 7

(image de reddii)


Quand Labruyère trouva Nella, elle était allongée sur le pont et dormait, la bouche ouverte, entourée de soldats. Il fut légèrement surpris de trouver la jeune fille dans cette position, mais le fut encore plus en constatant les nouveaux «gardiens» de l'enfant. Il questionna rapidement ces derniers qui annoncèrent pour leur défense que c'était un ordre de quelqu'un de plus haut gradé qu'eux et qu'ils ne pouvaient absolument rien dire ni faire en conséquence. Labruyère répondit tranquillement à cela qu'en tant que chef de ce navire, il pouvait aussi les jeter par dessus bord et leur destiner une fin atroce en agonisant dans la Forêt – sans masque à gaz, on tenait quelques minutes à peine. Les autres filèrent sans demander leur reste et le capitaine du vaisseau regarda la jeune rousse endormie, innocente comme elle ne l'avait jamais été. En un sens, il regrettait d'être allé la chercher dans sa Forêt. Ici sur le navire, elle semblait dépérir d'être loin des arbres. Au moins, elle ne risquait rien à rester au soleil à ce moment de la journée. Il était 14h et même les pirates qui la surveillait quelques minutes plus tôt avaient revêtus leurs vêtements anti-UV. Au début des premiers cancers de la peau, on avait vendu ces vêtements à prix d'or parce que, à l'époque, les hommes n'avaient soif que de pouvoir et de richesses. Par la suite, après la chute de l'ancienne terre et le recouvrement de la planète par Plokho lesu, plus rien n'avait été pareil. Labruyère frissonna. Il n'aimait pas du tout employer, ni même seulement penser, ce terme maudit utilisé par les partisans de l'Ordre rouge. Après les grandes famines, lorsque le monde s'était peu à peu reconstruit, de nouvelles croyances avaient émergées. Quatre, bien distinctes, mais dont le dieu était le même sous des noms différents. Cela signifiait «mauvaise forêt» dans un langage oublié que Labruyère ne connaissait pas. Lorsque les suprêmes avaient émergées, il n'avait même pas à l'état de larve.
Les religions étaient donc au nombre de quatre et il était très imprudent d'essayer de les comparer ou même de dire que l'une valait mieux qu'une autre, car les fidèles étant fiers et orgueilleux, cela provoquait inévitablement un conflit, voire une guerre sainte. Il y avait les Patawais, les Amarantiens, les Courataris et les plus virulents : les Humirias. Les Humirias étaient les fondateurs de l'Ordre rouge et avec la création d'Iryanthera, ils avaient réussi à centraliser leur pouvoir et resserrer leur emprise sur la population craintive et angoissée. C'était la religion la plus extrême et c'était également eux qui avaient nommés la Forêt Plokho lesu. Pour eux, c'était l'antéchrist suprême. Celle qui les avaient privés de leurs privilèges, de leur vie d'avant et de l'industrie. Labruyère avait appris par ses ancêtre qu'à une époque, les hommes roulaient dans d'étranges machines appelés voitures et qui fonctionnaient avec un carburant qu'il ne connaissait pas non plus, apparemment appelé essence. Le seul carburant qu'utilisait Labruyère pour faire fonctionner ses eyons, c'était l'énergie solaire qui alimentait le convecteur interne. Il trouvait ça absurde de mettre un liquide dans un moteur pour le faire fonctionner. Il secoua la tête. Malheureusement, la folie des Humirias ne s'était pas arrêtée à la création d'une simple secte. Ils avaient endoctrinés la majorité du peuple, qui, en perte de repaires, s'était tournée vers la seule chose qui leur donnait un espoir et un foyer. Ils avaient donc conçu l'Ordre rouge et avaient annoncé que désormais, la vie serait meilleure. A cette époque, on avait découvert l'existence des Etracs et après cela, la vie avait littéralement viré au cauchemars.
Les Humirias avaient créés leur milice, la garde rouge, et avaient lancé une grande purge visant à détruire toute forme de vie forestière. Détruire la Forêt avait été un lamentable échec, aussi la colère d'abord tournée vers les arbres s'étaient ensuite abattue sur les pauvres Etracs. On les avaient traqués, torturés et ensuite, quand ils avaient commencés à se cacher, il était trop tard et ils avaient été pratiquement tous décimés. Les survivants élevèrent leurs enfants dans la crainte et le secret et le terme «d'Etrac» devint tabou.
Labruyère fut sortit de ses réflexions par le Daenkil de Nella. Le pirate regarde la petite bête s'affaler près de sa maîtresse et se mettre à ronronner. Celle-ci, inconsciemment, le pris dans ses bras et le serra fort contre elle, entraînant un concert de miaulement appréciateurs de la part de l'animal.
Lorsque Nella ouvrit les yeux, elle n'était plus dans la cuisine mais affalée sur le sol. Elle se rappelait s'être endormie après avoir mangé. Qui avait pu l'amener ici ? Peut-être Nabil ? Elle repensa au jeune homme avec contrariété. Il ne cessait de l'asticoter à longueur de temps et surtout, il tentait de comprendre des choses qui n'était pas en mesure de saisir. Peut-être avait-il besoin d'un petit choc visuel pour bien digérer les choses ! Elle s'assit en tailleur et regardant la canopée qui s'étendait à perte de vue devant elle. Labruyère, assis à côté d'elle, la regardait également, perdu dans ses pensées. Elle n'osa pas le déranger et se contenta de compter le nombre de craquoliers qu'elle arrivait à repérer au sol. Elle comprit rapidement que plus ils avançaient, plus le nombre d'arbres très dangereux diminuait. Ils s'éloignaient du nid mais en quelle direction ? Iryanthera ? Le contraire ?
  • Dites, est-ce que je pourrais savoir où on va ?
  • Aram. Un charmant village au demeurant.
  • Je connais. Mais c'est encore en Eden et j'y suis recherchée je vous le rappelle.
  • Je sais, souffla-t-il en riant. C'est précisément la raison de ma venue là-bas.
  • Je ne comprends pas bien où vous souhaitez en venir...
  • Tu ne t'es jamais demandé d'où venais ton pouvoir ? D'où te viennes ces dons si effrayants pour toi ? Il ne t'ai jamais arrivé de les réveiller quand tu étais en colère ou que tu avais peur ?
  • Si. Mais je ne vois toujours pas le...
  • Petite fille. La coupa-t-il. Ne cherche pas encore les réponses et trouve d'abord la question. A présent suis moi, il faut que je te présente quelqu'un.
    Nella avala sa saliva mais resta de marbre. Elle n'aimait pas vraiment ça et elle chercha, en faisant semblant d'être désintéressée, Nabil du regard. Elle aurait bien voulu qu'il l'accompagne. Par chance, il les croisa et elle le saisit par le bras au passage. Ce dernier ne comprit pas vraiment mais puisqu'elle avait enfin un geste «normal» envers lui, il décida qu'il valait mieux ne pas broncher. Loan le daenkil, fermait la marche en trottinant d'un pas enjoué. Labruyère les conduisit devant une immense porte qui, par miracle, était construire en bois. Et pas n'importe lequel, les informa t-il, puisqu'il s'agissait de chêne, un arbre très ancien aujourd'hui disparu. Il leur intima le silence.
  • A présent, Nabil, ne quitte pas Nella d'une semelle. Je vais vous présenter un vieil ami mais parfois, il perd légèrement la tête...
  • Je peux me défendre toute seule, railla Nella.
  • Oh je n'en doute pas, je parlais surtout pour lui en fait, rigola le vieil homme.
  • Hé ! Protesta le concerné, ça va aller là ?
    Cependant, il se turent en entendant la respiration. C'était un son rauque, sifflant et saccadé et Nella n'avait jamais entendu cela nul part. Il y avait quelque chose de ces soupirs d'à la fois familier et d'inconnu. Elle avança tranquillement, Nabil cramponné à son bras. Elle n'allait pas jusqu'à dire qu'elle n'avait pas peur – c'était une enfant après tout – mais il fallait bien qu'elle garde contenance et qu'elle ne s'enfuit pas en courant. Au fil de sa vie, Nella avait été confrontée à trop de stress, trop de souffrance et trop de violence. Elle sentait peu à peu ses nuits se raccourcir, ses jours s'obscurcir et ses cauchemars devenir de plus en plus présent. Elle avait peur, mais il était impossible pour elle d'en parler à qui que ce soit sans paraître ridicule. Au centre, on ne parlait pas de ses angoisse, car c'était une marque de faiblesse. La marque de ceux qui allaient bientôt mourir.
    Labruyère poussa la porte et Nella fut surprise de constater qu'ils se trouvaient dans une serre extrêmement bien éclairée contrairement au couloir qui y menait. A vrai dire, elle avait un instant cru qu'ils se retrouverait dans le noir complet. C'était bien la peine de resserrer sa prise sur Nabil – qui n'y avait pas fait attention, tout aussi terrifié qu'elle – si c'était pour se retrouver dans une salle où le soleil était présent partout et où, donc, la peur n'était pas. Les deux jeunes gens, accompagnés de Loan, suivirent Labruyère. La serre n'était pas gigantesque, mais l'enchevêtrement de plante était tel qu'il était difficile de s'y retrouver. Nella pris alors brusquement conscience qu'ils respiraient sans masque dans la Forêt ! Certes, elle n'était pas reliée au sol, mais elle n’exhalait pas de relents mortels et l'air était même plutôt purifié. Ils se retrouvèrent devant un arbre gigantesque et s'arrêtèrent.
  • Giacomo ? Vous êtes là ? Appela Labruyère.
    Sous les regards tendus et décomposés de Nella et Nabil, une forme se détacha de l'écorce de l'arbre. C'était un torse d'homme avec deux bras et une tête où poussait des branches. Sa peau avait la couleur et la texture d'une écorce recouverte de mousse et ses doigts n'étaient plus que des branches noueuses et atrophiées. Il était assez effrayant sous cette forme. Un instant, Nella se rappela l'horrible monstre qui apparaissait dans les histoires de son père et pour la première fois depuis longtemps, elle se mit à trembler. Parce qu'il était hideux, mais aussi parce qu'il lui rappelait des choses qu'elle voulait oublier. Un coup de feu retentit dans sa tête, un hurlement de femme et elle s'accroupit au sol, la main de Nabil dans la sienne.
  • C'est donc toi la petite fille, soupira la voix rocailleuse.
  • Ou...oui..., balbutia-t-elle. Ce...c'est moi...
  • N'ai pas peur, je sais que j'ai l'aspect repoussant et la mine grise mais je ne ferai pas de mal à l'une des filles de zemlya .
  • Qu'est ce que ça veut dire ? Murmura Nella en se relevant, aidée par Nabil qui la soutenait, un bras autour de sa taille.
  • Ça veut dire que tu es en sécurité lorsque tu es dans le Forêt ou en plein soleil, dit Labruyère. Zemlya signifie «terre» en langage ancien.
  • Mais...mais les autres aussi sont des fils et des filles de la terre non ?
  • Non, dit le vieux semi-arbre. Les etracs sont les fils de la terre. Les autres ne sont que des chacals puants qui pullulent sur nos terres et ravagent de nouveau ce que nous avons mis du temps à construire.
  • Je...Je ne comprends pas tout à fait pourquoi je suis là.
  • Je vais t'expliquer, continua l'autre en se redressant, entraînant un craquement horrible au niveau du tronc de l'arbre dans lequel il était. Le capitaine, ici présent, m'a parlé de tes dons «particuliers».
  • Eh bien...Euh...Je...Je ne sais pas vraiment ce que vous entendez pas là...En fait, je ne savais même pas que j'étais une etrac et je ne comprends pas vraiment ce que ça veut dire tout ça alors...
  • Vois-tu, je suis une personne qui n'aime pas utiliser de moyens détournés, aussi irai-je droit au but. Es-tu ou non la responsable du meurtre du craquolier ?
  • Oui mais...mais il voulait me tuer ! Mes amis avec !
  • Et pourquoi cela ?
  • Parce que le centre de formation nous avait jeté dans leur nid...
  • Soit. Mais j'aimerai bien savoir qui t'as donné le droit de t'en prendre à un arbre !
  • Personne, rétorqua Nella maintenant plus sûre d'elle.
  • Alors peut-être que tu aimerais connaître le même sort qu'eux non ? Minauda la voix sifflante de rage.
  • Je ne suis pas venue ici pour...
    Nella n'eut pas le temps de terminer sa phrase car les yeux de l'homme à moitié arbre s'étaient illuminés de turquoise. Elle vit avec stupeur des boules de lumière fondre sur Labruyère, Nabil et elle. Ils esquivèrent tous mais malheureusement, ils se retrouvèrent dispersés. Et ce fut Loan qui se retrouva en première ligne. Elle vit son compagnon être soulevé du sol par une force mystérieuse et se mettre à hurler de douleur. Elle sentit la même sensation que la dernière fois s'élever en elle et ses yeux se mirent à briller à leur tour. Elle sentit la paume de Nabil la rappeler mais elle était trop en colère. Loan retomba dans ses bras lorsqu'elle s'approcha de lui et elle regarda le visage de l'homme arbre se tordre en un rictus terrifié. Il n'avait peut-être pas prévu de la mettre en colère mais à présent c'était fait et la rage était telle qu'elle ne savait plus comment s'arrêter. Elle comprit alors ce qui se passait. Elle les sentit. Au nombre de quatre, extensibles à volonté et pouvant couper même le métal le plus dur. C'était des bras psychiques et ils réagissaient à sa colère, à ses larmes, à sa terreur. Elle sentit la main de Nabil se poser au creux de sa nuque et son nez lui chatouiller la joue. Elle tenait le corps immobile de son daenkil entre ses doigts et elle voyait le sang couler de son petit ventre tranché. Il vivait encore mais plus pour longtemps. Elle vit la main de Labruyère se poser sur le corps du petit animal et elle le regarda le soigner. Sa colère diminua, elle sentit ses bras se rétracter puis ses yeux redevinrent rouge et elle fut calme. Nabil était toujours près d'elle et il lui tenait la main. A présent elle était assise et Labruyère s'occupait de Loan. Le petit compagnon de la jeune fille fut bientôt sur pieds et il vint se réfugier dans ses bras.
  • C'est assez impressionnant effectivement, murmura le responsable du carnage.
  • Pourquoi ? Demanda Nella d'une voix blanche. Pourquoi s'en prendre à lui. Il n'avait rien fait...
  • Pardonnes moi mon enfant..., dit le vieil homme d'un ton de regrets. Je souhaitais seulement t'éveiller... D'ailleurs tu m'as bien puni, observes mes pauvres bras. Ils sont tranchés net. Et mon corps est couvert des conséquences de mon acte.
    Effectivement, dans sa colère, Nella avait entaillé les bras du vieil homme arbre, qui gisaient à présent sur le sol, tel deux pauvres bûches coupées en forêt. Il ne semblait pas avoir mal mais elle vit également les coupures profondes laissées sur le tronc et elle se sentit coupable, sans pour autant l'exprimer. Elle resta de marbre et attendit qu'il continue son discours.
  • Tu dois comprendre que j'ai été humain avant de me retrouver dans cet état et que le stade etrac où tu te trouves est dangereux.
  • Comment ça ?
  • Connais-tu le terme «cancer» ?
  • C'était une maladie des temps anciens qui faisait des ravages dans la population ?
  • C'est exact. Vois-tu, chez nous les etracs, le stade deux de notre évolution se traduit par une maladie chronique, une sorte de cancer en quelque sorte.
  • Je vais mourir ça veut dire.
  • Non. Justement cette «maladie» là est plus pernicieuse. Tu ne vas pas mourir Nella, mais plus tu utiliseras tes pouvoirs etracs, plus la Forêt s'emparera de toi et tu commencera à te transformer en arbre pour finalement en devenir un. Tu ne seras pas morte. Ta conscience se modifiera et tu vivras des milliers d'années. Mais ton existence humaine cessera dès l'instant où tu seras figée dans l'écorce. Ton seul but sera de planter le plus profondément tes racines dans la terre afin de trouver de l'eau et ton seul soucis sera de ne pas te déraciner lors d'un ouragan ou d'une tempête ou de ne pas être foudroyée par un éclair.
  • C'est...c'est la raison de votre état.
  • C'est exact ! Et je suis ici parce que ce bougre est venu me chercher il y a de cela dix ans afin que je participe à l'effort de guerre...à mon âge !
  • Quel âge avez vous exactement ? Demanda Nabil qui n'était pas encore intervenu.
  • Sache, jeune homme, dit l'autre de nouveau d'une voix cassée, que si vous autres, petits etracs normaux, vivez une vie humaine normale, d'environ quatre-vingt ans, j'ai pour ma part à mon actif quatre siècle et une dizaine de mois !
  • Mais...Comment se fait-il que votre transformation n'ai pas aboutit ?
  • Parce que j'ai trouvé un remède. Malheureusement, j'étais déjà dans cet état. Le remède, qui en temps normal efface les premiers symptômes, n'a pas fait de changements pour moi et je me retrouve coincé dans cette pauvre carcasse. Mes pouvoirs diminuent de jours en jours et je sens ma fin poindre. Car ayant trouvé le remède il y a une centaine d'année, je me suis évidemment empressé de le perdre et d'en oublier la recette. Mon existence est donc redevenue humaine. Je devais m'éteindre cette année et puis, par miracle, je suis encore là !
  • J'ai combien de temps ? Murmura Nella.
  • Tout dépend je te l'ai dit, de l'utilisation de ta force. Nous sommes en guerre. Si tu décidais d'y prendre part et d'utiliser tes capacités au maximum...Hum...cinq ans.
  • Et si je n'y participais pas ? Si je vivais dans la Forêt ?
  • Tu vivrais tranquillement en menant une vie terrienne jusqu'à tes soixante ans. C'est ce qui m'es arrivé.
  • Pourquoi s'être retiré du monde ? Demanda la jeune fille.
    Le vieil homme se tut quelques instants et son regard se perdit dans le vide. Il se rappela d'autres temps où il avait été malheureux et d'autres temps où les siens avaient connu une misère telle qu'il était difficile de goûter à la saveur du bonheur. Des temps où il n'avait rien eu d'autre à manger que des racines et des feuilles durement gagnées. Puis le sang qui avait coulé. Beaucoup trop de sang, beaucoup trop de mort qui avaient rampé et beaucoup trop de souffrance après tout ça. Il releva le visage vers Nella et lui lança un regard grave, parce qu'elle connaissait cette souffrance.
  • Il n'avait plus besoin de moi...
  • Où puis je trouver le remède ?
  • Il y a un livre...un livre ancien. Il faut le trouver...
  • Nous allons vous laissez, dit Labruyère, vous devez être fatigué.
  • Oui, laissez moi. J'ai besoin de...j'ai besoin de me reposer...
    Ils virent l'homme se renfoncer dans son arbre et fermer les yeux. On le distinguait à peine. Labruyère les fit sortir en silence. Nella remarqua qu'elle était toujours agrippée à Nabil et qu'elle ne souhaitait pas le lâcher. Comme si la terreur et l'horreur qu'elle avait ressentit plus tôt allait resurgir si elle lâchait cette main. Le capitaine les laissa devant la cuisine et regagna ses quartiers, le visage préoccupé. Loan, quand à lui, décida de rejoindre la cabine qu'il occupait avec Nella. Il ne souhaitait pas revoir les pirates qui lui avaient fait un très mauvais accueil la première fois. La jeune fille quand à elle, entra. Elle ne vit pas les regards qui convergeaient vers elle, ni le sourire innocent d'Aramis. Elle était plongée dans ses pensées. Elle mangea machinalement.
    Que se passerait-il à présent ? Allait-elle mourir ? Se transformer en arbre et ne plus pouvoir bouger ? Elle voulait retrouver sa mère, entendre son rire une dernière fois. Elle voulait manger des tas de choses qu'elle n'avait pas goûté. Elle voulait voyager dans tous les pays possibles et visiter toutes les Forêts. Elle voulait voir ces endroits où on pouvait respirer. Ces espaces légendaires où la Forêt n'était pas dangereuse pour l'homme. Elle sentit sa gorge se nouer et les larmes lui piquer les yeux. Pour la première fois de sa vie, elle ressentait la peau de voir ses jours s'assombrir. Elle ne voulait pas que cela arrive. Elle voulait qu'on lui rende sa vie.
    Elle se leva brusquement, n'écouta pas l'appel de Nabil et s'enfuit en courant. Ce fut seulement lorsqu'elle se retrouva seule, à l'avant du vaisseau, sous la lune, qu'elle éclata en sanglots.
    Les larmes dévalaient son visage et ne s'arrêtaient pas. Elle sentit un étau enserrer sa poitrine et une montagne s'abattre sur elle. Elle aurait voulu bouger mais c'est comme si c'était devenu impossible. Et les larmes qui ne s'arrêtaient pas. Elle voulu ressentir quelque chose. Exprimer enfin quelque chose. Alors elle se mit à hurler. Un cri aiguë, terrible, parce que c'était son premier hurlement. Premier depuis que son père avait été assassiné, premier depuis que sa mère avait été enlevée, premier depuis qu'on lui avait enlevé la possibilité d'avoir des enfants, premier depuis l'horreur, premier depuis la mort de Diaedin et premier depuis qu'elle avait dût quitter Iarek. Premier parce qu'elle allait mourir. Premier parce qu'elle voulait que la tristesse, la violence, la colère et l'angoisse s'en aillent. Elle voulait que ça s'arrête. Elle s'arrêta d'hurler lorsque le souffle lui manqua et continua de pleurer à gros sanglots. Des sanglots qui lui déchiraient la gorge et le cœur. Elle leva la tête et vit Nabil qui se tenait près d'elle. Elle baissa la tête. Personne ne devait la voir comme ça. Mais il ressemblait tellement à Diaedin. Elle lui prit la main et l'attira à elle. Elle le serra contre elle comme à une bouée l'empêchant de couler. Elle se remit à sangloter et à hurler. Mais cette fois elle deux mots quelque chose : "aide moi".

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