jeudi 2 mai 2013

chapitre 6

(dessin de alice.b)


Nella soupira longuement. Depuis qu'elle était arrivée sur la Dame du ciel, elle s'ennuyait plus que de coutume. Au moins dans la forêt, elle chassait, pouvait se promener, améliorer sa maison, bref : s'occuper. Sur l'eyon géant, elle passait ses journées enfermée dans sa cabine. Pourquoi lui refusait-on le droit de sortir ? Elle avait bien sentit l'animosité de l'équipage à son égard mais elle n'aurait pas cru qu'elle puisse avoir autant d'ampleur. Elle soupira puis sauta de son lit. Si il y en avait un qui l'ennuyait, elle n'aurait qu'à l’assommer et puis voilà. Si elle faisait si peur que ça, alors elle voulait leur donner une raison de la craindre plutôt que rester une minute de plus dans ce placard ! Elle crocheta habilement la serrure de sa porte grâce à son couteau de chasseur, soigneusement caché dans le holster qu'elle portait à la cheville et commença – enfin – sa première visite de l'immense vaisseau.
Elle ne croisa pas grand monde jusqu'à ce qu'elle arrive sur le pont. Elle fut surprise de constater que tout l'équipage avait décidé de se réunir ce jour là, alors qu'elle même n'y avait pas été convié – ce qui était bien le comble parce que c'était quand même eux qui étaient venus la chercher non ? Il y eu un moment de flottement jusqu'à ce qu'on comprenne qu'elle avait réussit à s'échapper et elle se retrouva brusquement braquée par un ensemble assez hétéroclite d'armes. Elle ne mis pas ses mains sur sa tête comme lui hurlait un des pirates et se contenta de le fixer sans exprimer d'émotion particulière. Il la fixa également. Cela le perdit. Il se retrouva brusquement au sol, le couteau de Nella sous la gorge. Il ne l'avait pas vu bouger, et n'avait pas non plus sentit la balayette qui l'avait fait chuter au sol. Nella le regarda tranquillement, comme un prédateur qui s'apprête à déchirer la gorge de sa proie. Finalement elle se releva, rengaina et se tourna vers les autres pirates.
  • Celui qui ne m'accepte pas à bord viens me voir. Je suis protégée par votre capitaine, vous n'êtes en revanche protégés par personne.
    Et sur ce, elle continua tranquillement sa visite en sautillant d'un pied sur l'autre. Lorsqu'elle était toute seule, Nella se permettait de rares sourires et exprimait légèrement son bonheur. Même si c'était une machine à tuer, il n'en restait pas moins qu'elle avait quatorze ans. Ça ne se limitait qu'à des petites mimiques physiques mais, un observateur aguerri aurait rapidement remarqué son changement.
    Elle passa un long moment à se promener, entrant dans des cabines où elle n'avait pas été invitée et s'amusant à faire peur aux autres. Mais cela devint vite lassant de devoir faire à peine une grimace pour que ceux qui arrivaient en face d'elle s'enfuient en courant. Elle voulait parler à quelqu'un. Échanger. Après tout, Nella était un animal social comme les autres et elle avait besoin de discussion, de débat et d'apport de connaissance. Ce fut un fumet particulièrement savoureux qui attira son attention. Elle s'arrêta brusquement. Elle n'avait plus sentit d'odeur si délicieuse depuis son entrée au centre et dans la forêt, les daenkils et les kriss n'avait pas cette odeur si agréable. Ce qui lui fit penser que Loan était sans doute en train de déambuler – seul – sur la Dame du ciel et qu'il risquait de faire des dégâts. Elle haussa les épaules. Labruyère le rattraperait bien assez tôt et elle avec. Elle pénétra donc dans la cuisine et fut surprise de n'y trouver qu'une seule personne. C'était un garçon chétif à l'allure plutôt bosselée. Il la regarda et son sourire fut si innocent que Nella faillit s'enfuir en courant. Il avait des yeux cyans semblables à la mer. Sa peau laiteuse, constellée de taches de rousseurs, lui donnait la mine lumineuse et l’œil pétillant.
    Ce garçon lui rappelait Iarek. Elle eut un pincement au cœur en pensant à son ami. Il devait penser qu'elle était morte à présent. Elle s'assit en silence à une table. Elle voulait tout ravager quand elle pensait à l'injustice de la vie qui l'avait séparée de son ami. Son unique ami depuis la mort de Diaedin. Elle leva la tête et remarqua que le cuisinier la fixait d'un air curieux. Elle ne sourit pas – elle ne le faisait jamais en présence d'un autre humain – mais le salua en hochant de la tête. L'autre, amusé, vint se planter devant elle et fit une révérence si basse que Nella cru qu'il allait embrasser ses orteils. Elle le regarda longuement, s'attendant à ce qu'il parle, mais il gardait la bouche fermée.
  • Tu peux attendre, il ne parlera pas, fit une voix chaleureuse derrière elle.
    Elle sursauta en entendant la voix de Nabil. Elle l'avait tout de suite reconnu parce qu'il avait un timbre particulier et que sa voix était agréable. Il vint s'asseoir tranquillement à côté d'elle et elle ne bougea pas, continuant de fixer le cuisinier. Celui-ci la regardait également, étonné qu'elle n'ai pas plus de considération pour son ami. Il ignorait bien évidemment que la jeune fille était plus gênée qu'autre chose. Son visage n'exprimant strictement rien, il était difficile de comprendre Nella. Elle avait tellement pris l'habitude de masquer ses émotions pendant ces deux ans qu'elle avait oublié le mode d'emploi. Elle glissa tout de même un regard vers le jeune garçon et il lui sourit tranquillement.
  • Comment tu t'appelles ? Dit-elle poliment au cuisinier.
  • Il s'appelle Aramis, dit Nabil en ne cessant pas de la fixer.
  • Et tu travaille ici depuis longtemps ?
  • Il est ici depuis six mois, depuis que l'autre cuisinier a été mangé par un daenkil égaré.
  • Oh, c'est embêtant ça...
  • Ah ! Tu me réponds ! Dit-il victorieux.
  • Je te parlais pas à toi, dit-elle d'une voix atone en lui tournant le dos.
  • Pourquoi t'es fâchée ?
  • Fâchée? Dit-elle en se retournant vers lui. Et qu'est ce qui te fait dire ça exactement?
  • Je le devine c'est tout. Tes sourcils sont légèrement froncés même si tu fais exprès de paraître détendue et tu mordilles ta lèvre inférieure ce qui démontre une certaine impatience. Tu aimerais te débarrasser de moi ?
  • Franchement ? Et tu parles toujours comme ça ?
  • Dis moi tout ! Et oui !
  • Non.
  • Non ?
  • Non.
  • Eh ben, je suis plutôt surpris. D'habitude je cerne vraiment bien les gens mais...Tu n'exprimes pas grand chose il faut dire, railla-t-il tout de suite après.
  • C'est très aimable de ta part de souligner mes qualités et mes défauts. En ce qui te concerne, je constate que la délicatesse est une qualité qui fait défaut à toute votre famille !
  • Alors tu as vraiment connu Diaedin, murmura-t-il émue.
  • C'était mon meilleur ami. Et même si il a poignardé Iarek je...
  • Qui était-ce ? La coupa-t-il.
  • C'était notre ami. Il est resté au centre de formation. Je...Je l'ai laissé là-bas.
  • Tu tenais à lui ?
  • Eh bien euh...C'était un ami très proche et euh...Même si de son côté ses sentiments étaient plutôt...mitigés, je dirais que nous étions proches oui. Et qu'est ce qui me prend de te raconter ça ? Je ne raconte rien d'habitude !
Je paris que tu es un sorcier !
  • Si tu veux savoir...mon surnom sur le navire, c'est le charmeur de serpent.
  • Et pourquoi ça ?
  • Parce que je réussis à amadouer les plus féroces craquoliers, minauda-t-il. Ainsi que les etracs. Je vois que mon pouvoir marche toujours aussi bien...
  • Ce n'est pas juste ! Tu ne me dis rien sur toi !
  • C'est vrai, cela dit, Diaedin a dût te parler de tellement de choses à mon propos que je doute qu'il sois utile d'en rajouter. Non ?
  • Il y avait des questions auquel il n'a pas pu répondre...
  • Tu le questionnais à propos de moi ? S'étonna le garçon.
    Nella se tut. Elle n'aimait pas parler au passé quand cela concernait Diaedin. Elle aimait mieux l'imaginer vivant mais loin d'elle. Comme si c'était un ami qu'elle ne voyait plus depuis longtemps. L'image de sa mort était insupportable. Elle remarqua alors que Aramis avait disparu et qu'à la place, trônait sur la table un bol de riz à la viande. Le jeune homme avait même disposé des couverts et un verre devant elle pour qu'elle puisse manger. Elle le remercia du regard mais n'osa pas toucher au bol. Cela avait l'air si raffiné, si goutteux...Tout serait gâché si elle y touchait ! Elle passa sa langue sur ses lèvres sèches et céda finalement à la tentation. Enfournant une énorme cuillère de riz dans sa bouche, elle laissa échapper une ébauche de sourire. Manger comme ça n'était pas arrivé depuis longtemps.
  • Tu es plutôt surprenante comme fille je dois dire, souffla Nabil en se penchant vers elle.
  • Je ne vois pas de quoi tu parles, grogna-t-elle en mâchonnant la viande. J'ai quatorze ans, je suis une fille comme les autres.
  • Oh non ! Certainement pas. Déjà tu as les yeux rouges de ceux qui ont vu l'enfer , tu arbores d'ailleurs la même couleur à tes cheveux et de plus, tu es à un stade etrac jamais répertorié, ce que je trouve plutôt fascinant. Pour terminer, je dirais qu'une fille qui n'exprime rien quand on lui parle mais qui sourit quand elle mange, a un truc qui débloque quelque part. Alors non, tu n'es clairement pas une fille comme les autres, même si c'est que tu aimerais être.
  • Diaedin était comme ça aussi..., murmura-t-elle en prenant une nouvelle cuillère de riz et en fixant son assiette.
  • Comment ?
  • Il voulait toujours avoir raison sur tout. Ce qui, malgré le fait que ce soit très contrariant, était marrant. J'aimais cette facette de lui. Comme toutes les autres facettes de sa personnalité d'ailleurs.
  • Tu l'aimais ?
  • Non. Même si tu trouves que je parle et que je pense bien, je ne ressens pas toutes ces choses de grandes personnes. Et je ne veux pas les ressentir.
  • Mais...pourquoi ?
  • Ils m'ont brisée Nabil. Ils m'ont fait des choses que tu n'imagines même pas et que je te tairais par égard pour Diaedin. C'était abominable et je ne veux pas laisser quelqu'un d'autre que moi porter ce fardeau.
  • Mais si la personne le veut ?
  • On ne veut pas de ce fardeau là.
    Nabil la regarda songeur. C'était une réalité qu'il se passait des choses vraiment étrange dans ces centres de formation. Le pire était celui d'Iryanthera bien entendu et d'ailleurs, il avait remarqué le tatouage sur l'avant bras de la jeune fille. Il en ignorait la signification mais cela lui fit froid dans le dos. Il se demanda quels étaient les autres secrets du passé de sa nouvelle amie. Parce que oui, maintenant, Nella était devenue une amie, le dernier lien qui le rattachait encore à son frère.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire