mardi 30 avril 2013

chapitre 8




Des coups de feu et des cris. Voilà ce qui réveilla Nella en sursaut. Elle se redressa dans son lit, la gorge en feu, entendant les dernières bribes de son hurlement résonner en écho dans sa cabine. Loan bondit et se mit à feuler, croyant que sa maîtresse était en danger. La jeune fille était en sueur et elle avait les larmes aux yeux. Il faisait trop chaud. Elle se sentait étouffer dans cette chambre, elle avait besoin d'air. Elle rabattit brusquement ses couvertures. Les cris retentissaient encore dans sa tête. Les autres étaient morts mais ils continuaient de venir la hanter. Elle tituba jusqu'aux toilettes et rendit son dîner. Elle avait mal. Son estomac se contracta brusquement, lui arrachant un gémissement de douleur puis elle réussi à ramper jusqu'à son lit et se rallonger. Elle se sentait mal. Très mal. Il fallait qu'elle retourne voir le vieil homme maintenant. Elle se tint debout au prix d'un grand effort puis avança tout doucement, tombant quelque fois au sol mais se relevant à chaque fois. Elle ne sut jamais combien de temps elle avait mis pour traverser le vaisseau, mais en tout cas, cela lui parut durer des heures. Lorsqu'elle se retrouva devant la grande porte, elle utilisa ses dernières forces pour la pousser, marcher jusqu'à l'arbre et s'étaler de tout son long juste devant lui. Sa respiration était saccadée. Elle se sentait mal.
  • Qui est là ?
  • C'est moi..., murmura Nella. Je...Il se passe quelque chose...
    De nouveau, un spasme la saisit et elle vomit encore une fois. Elle s'essuya la bouche mais ne réussi pas à se relever. Elle sentit qu'on la soulevait de terre et qu'on la mettait en position assise. Elle se retrouva en face de Giacomo et sa tête partie en arrière.
  • Reste avec moi petite !
  • Qu'est-ce qui m'arrive ? Qu'est ce que j'ai ? Demanda Nella, le visage tordu par la douleur.
  • Je ne sais pas. Tu n'es pas venue depuis trois semaines..., dit la voix rocailleuse sur un ton légèrement inquiet. Je pensais qu'il t'étais arrivé quelque chose.
  • J'avais peur. Je suis restée dans ma cabine tout ce temps...
  • Tu fais souvent des cauchemars ?
  • Toutes les nuits mais...mais ça n'avait jamais été si intense...
  • Tu veux bien me parler de ces rêves ?
  • Je vois des corps déchiquetés par les arbres, balbutia Nella d'une voix folle, ils rampent vers moi et ils m'hurlent de les sauver ! Mais je ne peux pas ! Et je vois ma mère et Diaedin mourir sous mes yeux ! Et Des armes invisibles se mettent à tirer tout autour de moi ! Le feu et le sang me recouvrent ! Je disparais ! Je n'existe plus !
    La jeune fille, dans une attitude démente, regardait ses doigts. Ils devenaient peu à peu translucides. Elle se mit alors à hurler de façon hystérique. Elle n'entendait plus le vieil homme lui murmurer de se calmer. Elle voulait simplement qu'on l'aide.
    Labruyère débarqua brusquement, suivit de cinq hommes. Il aboya aux autres d'aller chercher le médecin et observa la situation. Giacomo ne semblait pas faire de mal à Nella mais elle se débattait à quelques centimètres du sol et le vieil homme semblait tout faire pour la maintenir éveillée. Elle faisait une crise de paranoïa et apparemment, elle avait également des hallucinations. Après que Giacomo ai réussi à l'immobiliser, il toucha son front et se rendit compte que la jeune fille avait de la fièvre. A vivre dans les bois pendant si longtemps, elle avait dût contracter une pathologie forestière après vécu dans un endroit stérilisé comme le centre de formation. Elle avait eu de la chance de n'avoir rien attrapé jusqu'à présent. Le médecin arriva finalement, encore à moitié endormi. Il s'appelait Charles et jamais il n'avait eu affaire à cela. La jeune fille se débattait et l'arbre avait...l'arbre avait un corps. Il cru qu'il rêvait encore mais en se pinçant, il eu la désagréable surprise de constater que tout cela n'était pas un rêve. Il réussit à administrer un sédatif à la jeune fille, qui se calma peu à peu et se mit tout simplement à pleurer. Les autres pirates la ramenèrent dans sa cabine laissant Labruyère et le vieil arbre solitaire seuls.
  • Qu'est-ce que j'ai fait ? Murmura d'un air sombre le capitaine en s'asseyant en tailleur.
  • Toi rien mon ami, soupira l'arbre. L'endroit où elle était avant, en revanche, y est pour beaucoup dans son comportement. De plus, laisse le temps à cette petite. Tu ne sais pas ce que sait de savoir que tu es destiné à une fin tragique à tout juste quatorze ans. Laisse lui le temps.
  • Mais...Pourquoi ne pas lui avoir parlé du livre monde ?
  • D'une part, parce que je ne me rappelais même plus qu'il s'appelait comme ça. D'autre part parce que je ne veux pas confier ce livre à n'importe qui. Je ne sais pas qui est cette petite, pour le moment je n'ai pas un avis des plus positifs à son égard. Je ne confierai pas le sort du monde à une gamine dangereuse !
  • Je sais. Mais le fait que Nabil soit son ami ne vous indique pas la décision à prendre ?
  • Si ce petit est mon descendant - chose que j'aimerai qu'on me prouve une fois pour toute que diable ! - ça ne révèle en rien le potentiel de dangerosité de cette fille.
  • Nous ne sommes pas pressés par le temps, vous avez raison, mais les troupes de Courtère avancent à l'Est et l'Ordre rouge a conquis les terre de feu l'année dernière ! Nous savons également qu'une partie du royaume de smene sezona est de leur côté ! Dois-je vous rappeler que les Humirias ont promis de redonner à la terre leur aspect «initial» ?
  • Ce sont des foutaises. Faire cela est voué à la destruction des humains.
  • Je le sais ! Mais l'aveuglement de la faction rouge peut provoquer la mort de millions de personnes voire de la race humaine entière !
  • Mais les etracs survivront !
  • Peut-être, mais contrairement à vous, tous le monde sur ce navire à des proches humains auquel nous tenons, asséna Labruyère d'une voix dure. Vous ne pouvez décider du sort de l'humanité par caprice !
  • Je lui laisse deux mois pour me convaincre.
  • Vous ne pouvez pas confier le sort du monde à une enfant !
  • Cette enfant peut détruire une ville comme Iryanthera entière à elle toute seule, Henri.
  • Que...C'est impossible. Même pour un etrac de très haut niveau c'est...
  • Pour elle ça ne l'est pas, c'est un grain de poussière en vérité, comparé à sa véritable puissance. Si l'évolution est rapide, c'est parce que notre pouvoir est mille fois plus puissant que celui d'un etrac de stade un. Nous dépensons une quantité d'énergie solaire considérable mais notre pouvoir est à la hauteur de ce qu'on nous consommons. Si Nella apprenais à contrôler cette énergie mais qu'elle n'a pas le cœur bon, c'est notre ruine que nous aurions créé. De nos mains.
  • Vous ne m'avez jamais révélé la raison de votre transformation...
  • J'étais jeune...C'était...C'était une erreur.
  • Qu'avez vous fait, trancha Labruyère, les sourcils froncés.
  • C'était il y a longtemps. Lors de la purge. Je...Ma famille a été massacrée sous mes yeux. Je n'ai pas vraiment comprit ce qui s'est passé...Quand je m'en suis rendu compte il était trop tard, ils étaient tous...morts.
  • Que...
  • J'avais huit ans Henri. A huit ans j'ai détruit une des plus grandes villes du pays sous l'emprise d'une crise de rage.
    Labruyère eu l'impression de se prendre une puissante gifle en plein visage. Il resta sonné sous le coup de cette révélation. Une sueur glacée coula le long de son dos. Giacomo était contrôlable parce qu'il ne pouvait plus se mouvoir correctement mais Nella, elle, le pouvait. Il eu, un instant, le sentiment fugace de peur l'envahir totalement. Puis il se reprit. Justement. Ça avait mal commencé pour cette jeune fille mais elle était tout à fait rattrapable. Elle était encore malléable et il était persuadé qu'elle n'avait pas encore perdue toutes ses illusions. Il releva la tête courageusement et planta ses yeux dans ceux de l'ancêtre.
  • J'ai confiance en elle ! Je suis sûre qu'elle pourra vous convaincre !
  • Nous ne devons pas lui révéler l'étendue réelle de ses pouvoirs, du moins pas pour le moment. Cela pourrait compromettre tout ce que nous avons construit. Les jeunes gens sont souvent orgueilleux et même si je pense que Nella a été épargnée par ce trait de caractère, on ne peut jamais être sûr de rien.
  • Dès qu'elle sera guérie, je commencerai son entraînement.
  • Bien. Cela se passera ici. Je pourrais la retenir avec mes bras psychiques si elle fait une nouvelle crise.
  • Entendu.
    Lorsque Nella se réveilla, elle était allongée dans son lit et la pièce semblait tourner. Elle fut prise d'un violent haut le cœur et se releva brusquement, cherchant quelque chose pour rendre son estomac sans en mettre partout. Labruyère, qui se trouvait auprès d'elle, lui tandis une bassine qu'elle lui arracha des mains et ses précédents repas se transformèrent en bouillie verte sous ses yeux. Elle sentit qu'on retenait ses cheveux mais elle n'y fit pas attention, terrassée par la fatigue. Que lui arrivait-il ? Elle allait probablement mourir. Elle se dit qu'au moins, elle reverrai peut-être Diaedin. Une nouvelle envie de vomir la fit se repencher sur la bassine et de nouveau, son corps se contracta sous l'effort et de nouveau sa gorge pris feu et de nouveau, des larmes coulèrent sur ses joues. Pas des larmes de tristesse ni de joie. C'était des larmes de douleur. Larmes auxquelles Nella n'était absolument pas habituée. Étant une élève très studieuse, le jeune femme n'avait jamais connu les punitions physiques ou morales et le seul moment de douleur de sa vie avait été la confrontation avec les craquoliers. Elle se recoucha tranquillement, épuisée.
    Sa vision était trouble et il lui sembla un instant être rentrée chez elle. La cheminée, le bois qui craquait doucement dans l'âtre, les bruits de vaisselle et l'odeur de nourriture. Les chaussures en cuir de son père qui faisait un bruit si particuliers lorsqu'elles effleuraient le sol, l'odeur de sa mère. Une odeur de fleur que Nella ne connaissait pas. Sa mère dégageait toujours ce parfum léger, qui ne vous prenait pas la gorge. Un parfum agréable, sensible. Semblable à une rivière que l'on entend chanter. Quand elle était petite et qu'elle fermait les yeux, Nella s'imaginait dans les Forêt légendaires d'Aram, la citée engloutie. La citadelle d'argent s'élevant devant-elle, les oiseaux et les arbres en paix avec les humains. Elle aurait également parcouru les salles secrètes qui, d'après la légende, étaient très nombreuses et cachées dans la magnifique bâtisse. Elle avait même dit un jour à son père qu'elle ferait une carte de la citadelle pour que tout le monde puisse visiter sans se perdre. Bon, bien sûr, elle garderait les trésors pour elle ! Son père et sa mère avaient rit de si bon cœur ce jour là, que Nella s'était fait la promesse de réaliser ce rêve un jour. A présent, son père était mort et sa mère disparue. Plus personne ne l'accueillerai le soir en l'embrassant. Plus personne ne lui caresserai la tête avec une affection plus forte qu'un simple amour. Elle serait toujours seule. Nella cligna des yeux. Elle était revenue dans la chambre. S'appuyant contre les oreilles – qui d'ailleurs n'avaient jamais été si moelleux – elle repensa à ce qui s'était passé chez Giacomo. Elle se posait des milliers de questions sur lui et sur la Forêt. Sur le monde et sur ce dont elle était capable avec ses pouvoirs.
    Nella n'était pas d'une nature envieuse et le pouvoir ne l'intéressait guère, tout comme les richesses d'ailleurs. Elle avait appris que dans ce monde, être riche ne faisait pas tout. Car la richesse de l'âme est plus forte que la richesse matérielle. Elle se retourna dans ses draps. Si elle devait mourir ici, au moins pourrait-elle dire qu'elle avait peu vécu mais qu'elle avait été heureuse pendant ces quelques jours sur le vaisseau avec tout le monde.
    D'ailleurs en y repensant, Nella trouvait la Dame du ciel peu commune en tant qu'eyon. Elle en avait déjà vu lorsqu'elle était à Iryanthera et ils n'avaient rien à voir avec cela. La dame du ciel était composée de deux partie. Ce que les pirates s'amusaient à appeler le ballon et qui était l'endroit où se trouvait les quartiers des pirates, la cuisine, bref, là où la vie se déroulait. Le ballon était ovale et s'étalait sur une longueur de quarante huit mètre – d'après Nabil – et était d'une hauteur de trente deux mètres. Sous le ballon se trouvait le moteur G qui leur permettait, grâce à un habile moyen de suppression de gravité, de flotter. Nella n'y comprenait strictement rien en mécanique et même si ses nouveaux amis avaient tentés de lui faire intégrer le fonctionnement d'un moteur G en lui expliquant patiemment, avec des termes bien précis qu'elle avait déjà oublié, elle n'avait rien retenu. Il fallait dire que ça ne l'intéressait pas grandement contrairement à Nabil, qui, fou des eyons, adorait également tous ces machins dans les moteurs. D'après lui, c'était comme si il avait eu une «énigme à résoudre» lorsque l'un des eyons tombait en panne. Nella trouvait cela aberrant, non pas parce qu'elle méprisait le milieu du pilotage ou des véhicules, mais simplement parce qu'elle ne comprenait pas comment on pouvait vivre dans un monde où la Forêt était la maîtresse de la vie et utiliser ce genre d'appareils. Nabil lui avait expliqué que le moteur G fonctionnait à l'énergie solaire mais la jeune fille avait quand même des réserves sur cet engin trop beau pour être vrai. En tout cas, elle aimait sa nouvelle maison. Après l'avoir visité de fond en comble, elle en avait déduit que c'était fabuleux. Car Nella étant d'heureuse nature, elle voyait toujours le bon côté des choses et non le mauvais. Et surtout, surtout elle était d'une curiosité extrême, la poussant à s'interrogeant sur toutes les choses de l'univers qui, aux yeux des êtres vivants, paraissent futiles et sans intérêt. Justement, elle, portait de l'intérêt à chaque chose, que ce soit le petit scarabée vert qu'elle avait trouvé ce matin sur sa fenêtre – comment était-il arrivé là mystère – ou que ce soit lorsqu'elle questionnait Iarek sur le pourquoi de sa venue au centre. Ses réponses étaient toujours vagues parce qu'il pensait qu'elle le jugerait mais ce n'était plus ça. Pour la jeune fille, l'important n'était plus le jugement direct de l'autre mais la connaissance avide d'un monde inconnu.
    Elle fut sortie de ses pensées par l'entrée dans sa chambre du capitaine des pirates. Celui-ci, une expression torturée peinte sur le visage, s'assit devant elle. Il était silencieux et elle se demanda ce qui pouvait bien lui arriver. Puis finalement, il ne prononça aucune parole et repartit. Ce petit manège dura une semaine, temps durant lequel Nella ne cessa de repenser à sa vie dans la Forêt, tandis que Loan dormait paisiblement sur ses jambes. Elle fut également malade durant toute cette semaine et Nabil et Léo avaient interdiction de l'approcher sous peine de contamination. Elle se sentait seule mais c'était supportable. Les seuls moments difficiles étant ceux passés avec le silence de Labruyère. Il y avait aussi ceux où la douleur des vomissements et les délires étaient intolérables et elle se refermait comme une huître pendant plusieurs heures, ne prononçant aucune parole.
    Au bout du septième jour de quarantaine, Labruyère retrouva, comme par magie, l'usage de la parole et il lui parla très longtemps. Il lui résuma d'abord ce qu'elle savait déjà : le cancer etrac la dévorait à petit feu mais il y avait un antidote et il fallait faire vite, car elle avait peu de temps pour contrôler correctement ses pouvoirs et trouver cet antidote. Il lui parla d'un livre très ancien, datant de l'ancien monde, lorsque les chercheurs avaient commencés à se renseigner sur la Forêt. Ils avaient découvert l'antidote par erreur, mais ce n'était que bien plus tard que Giacomo avait compris la signification de toutes ces formules et qu'il avait pu faire le lien entre leur maladie et la découverte de ces gens. Le livre parlait également de la chute de l'ancien monde, les événements majeurs. Ce qui s'était passé, ce qui se passerait. Labruyère ne put cependant lui en dire plus car il n'avait jamais lu le livre en question. Il lui expliqua également qu'elle devait faire ses preuves devant Giacomo.
    Nella fut un peu vexée de ce manque de confiance mais en même temps, elle comprenait. A la place de Giacomo, elle n'aurait décemment pas pu le donner à n'importe qui, qui plus est quelqu'un qu'elle ne connaissait pas. Labruyère lui annonça que l'entraînement serait intensif et durerait jusqu'à ce que l'arbre le juge nécessaire. Pour le moment, il n'était pas prudent de sortir. Il valait mieux se faire oublier pendant un temps et ressortir, plus forte que jamais et prête à en découdre. La jeune fille savait que la capitaine était sage, aussi l'écoutait-elle avec attention.
    Le jour suivant, elle fut surprise de constater que les exercices qu'il lui demandait de faire reposaient énormément sur la méditation et la pose spirituelle. Cependant, elle faisait confiance à Labruyère, il s'y connaissait probablement plus qu'elle. Ainsi, assis dans la serre, l'un en face de l'autre, l'homme lui apprit à manier son flux d'énergie.
  • Imagine une bille. Pas plus grosse qu'une marguerite. Tu l'as ?
  • Oui.
  • Maintenant tu t'appropries cette bille. Tu la fait doucement rouler dans la paume de ta main – garde les yeux fermés – et sur le bout de tes doigts. Tu la fait remonter le long de ton bras puis descendre le long de l'autre. Qu'est-ce que tu ressens ?
  • C'est un picotement plutôt familier...C'est même agréable...
  • Tu manipules ton énergie de façon à ce qu'elle t'écoute. Tu dois savoir la manipuler pour pouvoir t'en servir. Par exemple : imagine que tu veuilles envoyer une boule de lumière, quel serait le mode d'emploi d'après toi ? Demanda-t-il.
  • Eh bien...je ne sais pas, lancer le bras en avant ? Comme si je donnais un coup.
  • Ça ce sera le geste en effet, expliqua-t-il. Cependant, si ton poing est dépourvu d'énergie, tu seras incapable de la solidifier et de créer ta sphère énergétique. Tu comprends ?
  • Oui ! Comment faut-il faire ?
    Labruyère lui apprit d'abord à créer des boules de lumières. Elle devait fermer les yeux, se concentrer sur son énergie et la canaliser dans son poing. Ensuite, elle n'avait plus qu'à faire un mouvement de bras pour l'envoyer. Le premier essai fut un échec, cependant le second fut plutôt bien réussi. Il l'entraîna à tirer dans des cibles, de plus en plus précisément. Il expliqua également à la jeune fille que la méditation l'aiderait à canaliser son fabuleux pouvoir énergétique. Car en absorbant de la lumière toute la journée, Nella n'avait jamais les batteries à plat. Si elle avait eu une nouvelle crise, le vaisseau aurait probablement été réduit en cendre en quelques instants. C'est pourquoi le capitaine mettait un point d'honneur à lui apprendre la maîtrise de soi. Ça pourrait lui servir dans la vie mais également en combat. Car perdre le contrôle de son corps dans un affrontement, c'est courir à sa perte. Il apprit également à Nella que si elle restait trop longtemps dans un endroit sans lumière, elle finirait pas s'éteindre, comme une petite flamme. Elle ne mourrait pas, mais elle serait paralysée et finirait par mourir de faim ou de soif puisque ses membres ne pourraient plus la porter. Pour éviter cet inconvénient majeur, il lui donna des gélules solaires. Le nombre d'Etracs étant obligés de se cacher dans des lieux obscurs étant croissant, les scientifiques pirates avaient élaborés cette pilule afin de se recharger si le soleil venait à manquer. Elle était très efficace et duraient toute une journée entière.
    Durant leurs séances, Nella apprit également à tirer à l'arbalète, seule arme qu'elle n'avait encore jamais utilisé. C'était plutôt pratique pour tirer mais très encombrant quand il s'agissait de la transporter. De toute façon, l'arme de prédilection de Nella restait le couteau de chasse à dents. Son cher couteau, bien au chaud dans sa gaine de cuir et accroché à sa cheville gauche. Il ne la quittait jamais et lorsqu'elle ne portait pas de pantalon, Nella l'accrochait au niveau de son abdomen. Elle était plus tranquille avec. Comme si la présence de l'arme lui assurait une protection suffisante contre les ennemis éventuels.
    Labruyère était d'ailleurs plutôt intrigué par cela. Il ne comprenait pas l'obsession de la jeune fille pour la protection physique. En parlant avec elle, il comprit que l'épisode des craquoliers l'avait traumatisée à vie et que la perte de son ami – le frère de Nabil – l'était encore plus. Elle vivrait toute sa vie avec le visage d'un enfant mort. Il la questionna également sur les pratiques du centre mais elle ne fut pas très bavarde à ce sujet. En particuliers lorsqu'ils parlèrent des enfants.
  • Mais n'y a-t-il pas d'enfant ayant des parents faisant partie de la garde rouge, demanda-t-il un jour qu'ils méditaient.
  • Non.
  • Comment cela se fait-il ? Continua-t-il curieux. Ils sont affectés ailleurs ?
  • Non ce n'est pas ça..., murmura la jeune fille, les yeux baissés.
  • Alors...que leur arrive-t-il ?
  • Il n'y en a tout simplement pas, asséna-t-elle finalement en le regarde droit dans les yeux. Ils ne privent de la possibilité d'enfanter. De nous reproduire. Parce que d'après eux ça serait impure et sale.
  • Que...
  • Il y avait également une deuxième opération qu'on faisait aux filles plus âgées pour leur éviter les relations sexuelles et éliminer toute sorte d'attirance ou de caractères féminins.
  • Comment ça ? Souffla Labruyère d'une voix dure.
  • Il y en avait qui se faisait exciser tout simplement, mais d'autre qui se faisaient retirer les mamelons ou même les seins entiers. Ça ne faisait pas mal d'après une de mes camarades bleue.
  • Bleue ?
  • Oui c'était la couleur de son uniforme, précisa Nella d'une voix uniforme, sans émotions, qui glaça le sang du capitaine, sans pour autant qu'il le montre.
  • Pourquoi ?
  • Parce que d'après les formateurs, nous devions être purs. Nous étions des perfections et des déchets en même temps. Pour racheter notre statut de déchet, on nous conditionnaient à la perfection...
  • Et toi ?
  • Moi ? Murmura-t-elle surprise, première émotion qui traversait enfin son visage. Oh...Moi je suis simplement...stérile, c'est comme cela que l'on dit ?
  • C'est exact.
  • Eh bien voilà. Mais je suis intelligente et j'ai vite compris ce qu'ils voulaient nous faire. Pour moi, c'était un moyen de plus pour nous priver de notre humanité et de notre libre arbitre. Se conformer à des règles quel qu'en soit le prix, intégrer le groupe par n'importe quel moyens. C'était le but. Mais moi je n'ai jamais suivi ce raisonnement parce que je pense que l'âme et les idées sont plus importantes que le paraître et l'attitude. En particuliers quand on voit ce que fait la garde rouge.
  • C'est-à-dire ? Demanda le capitaine du tac au tac, même si il connaissait déjà cette réponse là.
  • On nous demande une plastique parfaite et un renvoi esthétique impeccable. Nous devons avoir l'apparence de parfaits humains, bien comme il faut. Mais malgré ça, nous commettons des crimes plus barbares les uns que les autres et nous envoyons à la mort des enfants. Et personne n'est au courant.
  • Mais c'est le rôle d'une milice d'agir dans l'ombre. Tu ne trouvais pas cela normal qu'on exige toutes ces choses de votre part ?
  • Si, rétorqua-t-elle en le poignardant du regard. Mais ça n'empêche ni la tristesse ni le regret et encore moins le dégoût.
    Il n'en reparlèrent pas. Et suite à cette discussion, Labruyère ne fit plus jamais mention des enfants des centres devant Nella. Ce qu'elle avait vécu était au delà d'une capacité de compréhension normale. Il ne pouvait en aucun cas comprendre ses ressentis, ses peurs ou encore ses peines. Parce qu'elle avait vécu des circonstances extraordinaires. Atroces, certes, mais extraordinaires. Pour autant, il n'aurait voulu vivre cela pour rien au monde, car en regardant Nella, malgré une force de caractère bien présente, il la sentait glisser de temps à autre, comme si une ombre rodait autour d'elle, prête à la saisir et l'entraîner à sa suite. Nella semblait aux prises avec des démons contre lesquels il ne pouvait strictement rien. C'était une enfant brisée, difficile à réparer et qui ne saurait jamais plus comment agir.
    Il le voyait parfois, lorsqu'elle était avec Nabil ou Léo. L'un ou l'autre faisait une blague et elle, restait statique à les observer. Il se rendit vite compte que l'objet de sa curiosité était leurs expressions faciales par rapport à des émotions. La colère, la joie, la peur, l'angoisse, la honte, l'envie, l'amour, l'amitié, la haine ou encore l'espoir et le découragement. Elle regardait avec une attention toute particulière chaque visage, chaque expression différente, comme si à travers toutes ces mimiques, elle avait un gigantesque puzzle à reconstituer. Il compris qu'elle cherchait à percevoir ces émotions qui lui faisaient défaut à elle. Elle souhaite se les approprier. Quelques fois, lorsqu'il arrivait en retard. Il la surprenait entre les arbres, dans des entraînements de sourire et de visage contracté par la colère ou le chagrin.
    En plus de sa formation avec Labruyère, Nella suivait également une formation entièrement théorique, à laquelle pouvaient assister Nabil et dispensée par Giacomo. Il parlait lentement et sa voix rocailleuse écorchait quelques mots, mais pourtant Nella prenait un énorme plaisir à l'écouter parler. La plupart du temps, elle s'allongeait sur les genoux de Nabil, fermait les yeux et l'écoutait raconter ses histoires. Elle n'avait pas besoin d'écrire car elle retenait avec une facilité déconcertante les histoires du vieil etrac. Il leur en raconta des dizaines, parfois extrêmement sérieuses et parfois pas du tout. Il leur parla de smene sezona, royaume des quatre saisons et plus grand continent de la terre. Ce continent au temps totalement détraqué et dont les régions étaient délimitées par un climat particuliers. Il y avait le pays de zima, le pays de vesna, celui de leto et celui d'osen'.
    Zima était situé au nord de smene sezona et c'était celui qui possédait le climat le plus froid et glacial de tout le continent. Toute l'année, la neige et la glace recouvraient tout et pendant les derniers mois de l'année, des bourrasques de brouillard givrant déferlaient sur les terres. Il y avait peu d'habitants, cependant la Forêt y était moins abondante – à cause du froid – et le reste de l'année était plutôt supportable, le soleil étant tout de même très présent, donc le pays restait tout de même assez peuplé. D'après Giacomo, les habitants de Zima étaient les plus chaleureux, en contraste avec leur climat chaotique. C'était la plupart du temps des gens simples, qui prenaient la vie comme elle venait et qui priaient simplement pour que le prochain brouillard givrant ne détruise pas trop leurs récoltes ou ne tue des bêtes.
    En dessous venait Vesna, dont on aurait pu qualifier le climat de printaniers. Il ne faisait pas très chaud la plupart du temps mais les arbres étaient très souvent en fleur et c'était un des pays les plus magnifiques justement à cause de cette végétation luxuriante et si belle. Les pays du centre étaient déjà moins accueillants et ils étaient d'ailleurs, pour une partie, ségrégationnistes. La plupart étant croyant – la capitaine, Jessenia, était le centre de la religion Patawaï – ils n'acceptaient pas toute personne sortant de l'ordinaire ou ayant des opinions divergentes de la leur. Aussi les exécutions étaient-elles arbitraires et systématiques au moindre doute sur les idées politiques d'un voisin, d'un ami ou même d'un membre de sa famille. On ne leur laissait même pas le bénéfice du doute.
  • Mais...Et les gens différents qui aiment Vesna ? Demanda Nella. Ils sont obligés de fuir ?
  • Non, heureusement, remarqua Giacomo en souriant. Du moins pas toujours. Dans le livre monde, on parle d'un endroit auparavant appelé Floride où vit désormais une sorcière du nom d'Idrae. Je pense qu'elle doit-être très puissante mais ce n'est pas la seule raison qui a fait qu'elle ai pu rester en Vesna. Je pense au plus profond de moi que la Forêt n'aime pas les perturbateurs...
  • Soit, soit, dit Nabil. Et ensuite !
  • Ensuite il y a Leto, murmura le vieil arbre, les yeux brillants brusquement.
    Leto était sans aucun doute – Nella et Nabil le comprirent rapidement – le pays favori de l'homme arbre. Il décrivit avec passion la cité engloutie d'Aram et sa prodigieuse citadelle de marbre blanc, chose que Nella ignorait puisqu'on l'appelait «citadelle d'argent». Giacomo leur expliqua que l'argent aurait été malvenu puisqu'à Aram, toutes les habitations et les monuments se devaient d'être d'un blanc immaculé. Cette coutume locale était censée célébrer le symbole de leur patrie qui était l'arbre blanc, également connu sous le nom de belizna. Les arbres blancs étaient très nombreux à Aram. C'était d'ailleurs le seul endroit où il en poussait. Malheureusement, les habitants avaient d'abord cru qu'ils étaient inoffensifs et lorsque leur soif de pouvoir avait repris le dessus et que la corruption avait rampé dans le ville, les arbres blancs s'était déchaînés et cela avait été la débandade. Giacomo secoua la tête. Il était tout à fait d'accord avec les arbres, parce que de toute manière, les humains n'étaient bon qu'à une chose : vouloir de l'argent. D'ailleurs, il souligna longuement le fait que désormais la cité était habitée par les réfugiés etracs – qui eux étaient censés avoir le cœur pur – et qu'il n'y avait plus de problèmes – comme par hasard. Nabil et Nella se jetèrent un coup d’œil amusé mais écoutèrent la suite de l'histoire. En ce qui concernait son climat, Leto, au contraire de Zima, possédait le climat le plus chaud. C'était très souvent un climat tropical donc très chaud et souvent, au milieu de l'année, de plus diluviennes se déversaient sur tout le pays. Le petit problème, c'était que parfois, la pluie durait plusieurs mois d'affilée et on se retrouvait rapidement coincé à cause des inondations. Il expliqua donc que les habitants d'Aram habitaient sur les hauteurs pour s'éviter ce problème et que les autres peuples de Leto avaient opté pour des maisons suspendues dans les arbres.
  • Dans les arbres ? L'interrompit Nabil. Mais on ne peut pas habiter dans les arbres voyons ! On se ferait tuer !
  • Non jeune sot, cracha l'autre. Car une grande partie de la forêt de Leto est inoffensive et ne s'attaque pas aux humains. Seuls les arbres blancs le font, car ce sont les gardiens de Plokho lesu.
  • Qu'est-ce que c'est que ça ?
  • C'est le nom barbare que donne la caste d'illuminés qui sont au pouvoir à Iryanthera, grommela Giacomo. Ça veut dire «pauvre forêt» en langage ancien. Comme si la Forêt était à plaindre ! Quelle belle bande d'incapables !
  • Mais vous voulez dire qu'on peut respirer dans cette forêt ? L'interrompit Nella.
  • C'est exact jeune fille. Tout comme dans cette serre d'ailleurs. Les arbres que tu vois ici viennent de là-bas. Et comme tu peux le constater, ils n'attaquent pas l'homme. Enfin, vous êtes de etracs alors même en Forêt vous ne vous feriez peut-être pas attaquer, mais cependant ici vous pouvez respirer sans masque, ce qui n'est pas le cas dans Plokho lesu.
  • Mais si Plokho lesu représente la «mauvaise forêt», demanda Nabil en créant des guillemets avec ses doigts, quel est le nom de la «bonne forêt».
  • Chisto sada. Le jardin pur. On dit que c'est le dukh lesa, l'esprit de la forêt, qui décida si les arbres seront du côté de Plokho lesu ou de Chisto sada.
  • Il y a un esprit de la forêt ?! S'exclama Nabil d'une voix extasiée.
  • Mais non crétin, le rabroua l'arbre. Ce sont des contes pour bonne femme tout ça ! Mais ensuite, les noms ont été intégrés dans les légendes urbaines puis dans les préceptes religieux et les noms sont restés.
    Pendant que Nabil faisait la tête dans son coin, mais écoutant d'une oreille tout de même, Giacomo parla du dernier pays. On l'appelait le pays d'Osen' et c'était de loin le pays le plus étrange des quatre. Là-bas, d'étranges créatures avaient vues le jour, sorties d'on ne sait où et elles pullulaient, à présent, dans la Forêt. Giacomo ne les avaient pas observées parce qu'à ce moment là, expliqua-t-il, il commençait déjà à se transformer et ses déplacements se faisaient beaucoup plus difficiles. Notamment quand il fallait marcher longtemps, or pour observer ces créatures, il fallait au moins partir pour trois jours de marche dans la Forêt. D'après le vieil arbre, le pays d'Osen' était sans aucun doute le plus incroyable, au niveau de sa population, mais aussi le plus dangereux et hostile. Ici, c'était la Forêt qui faisait sa loi et elle n'avait de pitié pour personne, même si ce n'était pas clairement voulu puisque les arbres n'avaient pas de réelle conscience et s'arrêtaient seulement à l'égalité : humain = danger/nourriture/nuisance. De plus, le climat automnale qui régnait dans cette région du continent n'était pas idéal pour se promener en Forêt. C'était du pays d'Osen' que la Forêt avait hérité son nom de Plokho lesu, car après qu'une expédition scientifique entière ai été envoyée là-bas et ce soit faite massacrer, on avait confirmé que la Forêt était désormais une menace. Tout cela s'était évidemment passé juste après l'effondrement de l'ancienne civilisation et on ne savait pas, à ce moment là, que la Forêt pouvait représenter un danger pour les humains.
  • Dis, tu crois qu'un jour on pourra y aller à smene sezona ? Dit Nabil à voix haute alors qu'ils regagnaient leur cabine respective.
  • C'est évident. Mais moi je veux aller à un endroit en particuliers, déclara Nella, très sérieuse.
  • Où ça ? Demanda son compagnon avec curiosité.
  • Je veux voir la citadelle d'argent, je veux voir Aram, je veux voir les etracs qui vivent là-bas et je veux découvrir les trésors cachés.
  • Alors...Je viendrais avoir toi !
  • Merci. On pourra emmener Léo aussi, ça lui fera du bien de voir autre chose que ses livres.
  • Tu dis ça, mais toi aussi tu as toujours le nez dedans..., murmura l'autre d'un ton dubitatif.
  • C'est pour cela que je dis ça... Je sais d'avance que ça lui fera du bien.
  • Mouai...
  • Oh Nabil, ne soit pas si négatif...
  • D'après Giacomo je suis stupide en plus...Vous vous êtes passés le mot aujourd'hui ou quoi ? Grogna Nabil en pressant le pas.
  • Mais non voyons ! S'alarma brusquement la jeune fille, chose qui prit son vis-à-vis au dépourvu. Je ne pense pas ça du tout tu sais !
  • Ah oui alors tu penses quoi exactement ? Cracha-t-il en se retournant et en plantant ses pupilles d'un noir d'encre dans ceux plus doux de Nella.
  • Je...Qu'est-ce que tu veux dire ?
  • Vous me voyez tous comme un idiot, comme un incapable ! Mais je peux faire des choses moi !
  • Mais...Voyons tu n'as que quatorze...
  • Toi aussi tu as quatorze ans ! Explosa-t-il brusquement alors qu'elle ne s'y attendait pas. Et peut-être que lui non plus ne s'attendait pas à se mettre en colère de la sorte.
  • Mais...
  • Tu veux que je te dises ? Les autres sont sympa avec toi parce qu'ils ont peur de toi ! Parce que tu les terrifient alors ils se forcent à ravaler leur fierté et à te faire des sourires, des ronds de jambes et tout ça !
  • Je le sais bien...
  • Et d'ailleurs... ! Comment ? S'interrompit brusquement le garçon. Qu'est ce que tu as dit ?
  • J'ai dit que je sais bien que je fais peur. Je sais bien qu'avec mes cheveux rouges, mes yeux rouges et ma façon d'être, je suis inquiétante et je sais bien que vous avez tous vus cette vidéo de moi dans la Forêt...
  • Qui t'as dit ça ? Souffla-t-il d'une voix glaciale.
  • Ça n'a pas d'importance mais...mais toi tu as aussi peur de moi ? Je veux dire...Je pensais que tu étais mon ami...Je pensais...
  • Tu pensais quoi ?
  • Je pensais que tu m'aimais bien parce que j'avais connu Diaedin. Je pensais qu'au moins, même si tu restais avec moi à cause de lui, je ne serais pas toute seule...Je pensais que toi, tu n'avais pas peur de moi..., déclara-t-elle d'une voix éteinte.
  • Mais je n'ai pas peur de toi, soupira-t-il en la prenant dans ses bras et en la serrant contre lui. Je n'ai pas peur de toi...J'étais juste en colère, pardon.
  • C'est quoi en colère ?
  • C'est...C'est comme j'étais quand je criait et que je n'était pas content.
  • Moi quand je ne suis pas contente je pleure...un peu...
  • Ce n'est pas vraiment pareil ! Dit-il en riant. La colère, c'est plutôt comme la haine tu comprends ?
  • Pas vraiment...
  • Hum...Imagines. Tu parle avec quelqu'un et puis il t'insulte de sale etrac. Qu'est ce que tu ressens ?
  • J'ai envie de l'étrangler.
  • C'est de la colère.
  • Tu veux dire que le jour où j'ai vu Violetta tuer Diaedin avec sa lance et que j'ai eu envie de l'écorcher vive, c'était de la colère ?
  • Je dirais même que c'était de la haine.
  • Pourquoi je ressens des choses sans les comprendre ? En ce moment par exemple, je me sens bien. Et j'ai chaud.
  • Ce...C'est normal parce que tu es dans mes bras et...les humains dégagent de la chaleur corporelle !
    Il la relâcha brusquement et tourna les talons. Nella lui courut après et lui attrapa la main. Il s'arrêta. Elle lui demanda ce qui se passait et lorsqu'il tourna le visage vers elle, elle remarqua qu'il était tout rouge. Elle lui toucha le front, lui demanda si il n'avait pas de fièvre, ce à quoi il répondit que c'était elle qui était malade de lui demander ça. Finalement, il retrouva son allure normale et, sans lui lâcher la main pour autant, la conduisit à la cuisine où il retrouvèrent les bons petits plats d'Aramis. Pourtant Nella était pensive. Qu'elle pouvait bien être le sentiment qui avait pris possession de Nabil plus tôt ?

mardi 2 avril 2013

Chapitre 9



Chapitre 9


Courtère s'assit dans son fauteuil, pensif. La reine était en fuite et il n'allait pas la retrouver de si elle errait comme un animal dans la Forêt. Il grimaça, se leva brutalement et fit voler tout ce qui se trouvait sur le bureau devant lui. Les papiers s'éparpillèrent dans la pièce tandis que les coffrets allaient s'écraser sur le sol et que l'encre se répandaient de part et d'autre du meuble de bois. Il se rassit, toujours aussi en colère. Comment avait-elle pu échapper à la surveillance de la garde rouge ! Il s'était pourtant assuré, lorsque ses parents avaient été arrêtés, qu'elle ne soit pas exécutée mais envoyée en tant que traîtresse à l'empire en centre de formation ! Il n'avait cependant pas prévu son caractère rebelle et belliqueux. Pendant quatre années, Courtère avait surveillé de loin les agissements de cette enfant. Mais maintenant qu'elle lui avait échappé, où pouvait-elle se trouver, et avec qui ? Elle avait peut-être embarqué sur un vaisseau pirate ou pire, elle s'était peut-être fait tuer ! Même si la Forêt ne grouillait pas de mercenaires Etracs, il y en avait parfois quelques-uns et Courtère ne leur faisait absolument pas confiance. Il se mordit la lèvre, portant à sa bouche l'unique verre de vin à avoir échappé à son déferlement de rage. Il but le liquide carmin doucement, le laissant glisser dans sa gorge. Dire qu'il avait torturé et tué tous ces imbéciles de dirigeants, d'esclaves et de soldats, tout ça pour que ce qu'il voulait lui file entre les doigts.
La porte de son bureau s'ouvrit alors brusquement, le sortant de ses pensées, dévoilant une jeune fille de quinze ans, vêtue d'un pantalon et d'un haut de cuir gris et de bottes noires. A sa taille, une épée solaire, un poignard de diamant et une arme à feu solaire. Courtère avait toujours préféré les armes blanches, cependant il acceptait qu'aujourd'hui, sa garde soit armée en conséquence. Si il voulait mener la guerre qu'il désirait mener, il lui fallait faire preuve d’abnégation et de sagesse. La jeune fille était chauve, seule subsistait sur son crâne une tresse noires, se balançant derrière son dos lorsqu'elle marchait. Elle mit à genoux à terre et courba la tête, évitant soigneusement de le regarder. Cela mit le dirigeant de bonne humeur. Il était fort agréable de constater que sa garde lui était fidèle. Surtout sachant que la plupart de ses gardiens gris étaient des anciens de la garde rouge. Il ricana intérieurement. Si seulement l'empire savait qu'il leur volait leurs jeunes recrues sous leur nez ! Courtère était un stratège intelligent et plus rusé qu'on aurait pu le croire. Pour recruter sa garde grise, il choisissait bien évidemment des etracs, mais surtout des etracs formés au combat – même si ceux qui ne l'étaient pas ne tardaient pas à connaître eux aussi les joies de l'apprentissage de la guerre. Courtère moissonnait donc tout au long de l'année, pendant les excursions. Il repérait les etracs, les enlevaient durant une de leurs fameuses excursions puis les emmenaient dans son palais où ils suivaient une formation poussée de la guerre, un nouvel endoctrinement et surtout un apprentissage de leurs pouvoirs.
La plupart des etracs recueillis par Courtère étaient orphelins et on leur avait toujours dit de garder leurs pouvoir secrets. Leurs parents avaient été massacrés, mais comme ils étaient trop jeune et que l'Ordre rouge ne voulait pas choquer l'opinion publique, ils avaient été sauvés comme pupille de l'état et envoyés en centre pour soit-disant «les purifier».
  • Alors ton rapport Violetta ?
  • D'après nos hommes, elle serait effectivement sur la Dame du ciel.
  • Malédiction ! Siffla l'homme en envoyant valser à son tour le verre. Celui-ci alla exploser contre un mur et répandit ses morceaux au sol.
  • Elle semble en pleine forme cependant et Labruyère semble l'entraîner à développer ses pouvoirs.
  • Il suffit ! Ce que tu me racontes là n'est que sottises ! A quoi cela peut-il bien me servir de savoir que MA reine, que TU aurais dût ramener, est entraînée par quelqu'un d'autre !
  • Eh bien, bredouilla la jeune fille d'une voix mal assurée, cela signifie qu'elle déploie ses pouvoirs et que lorsque nous la cueillerons, notre reine sera à son apogée...
  • Tu n'as pas tord. Cependant, c'est un risque à prendre que de leur confier. Nous avons des espions sur la Dame du ciel ?
  • Oui seigneur. Numéro 11 est un excellent candidat. Qui plus est, il est proche des amis de la reine. Il pourra parfaitement s'en approcher.
  • Est-il suffisamment discret ?
  • Assurément.
  • Bien. Tu peux t'asseoir, dit-il en lui indiquant la dernière chaise en bon état.
    Violetta gagna rapidement sa place, les mains jointes et les yeux toujours rivés au sol. C'était un affront de regarder Courtère dans les yeux. Il était un dieu vivant pour tous les etracs qui vivaient ici avec lui. Il était capable de parler à la grande Plokho lesu. Il était l'intermédiaire entre les dieux arbres et les élus. Le peuple choisi par la grâce divine pour être la nouvelle espèce humaine. Un peuple traqué et condamné par les blasphémateurs pour les pouvoirs que leur avait accordée Plokho lesu. Courtère était le meneur du peuple libre et le sauveur de l'humanité etrac. Il allait les mener vers la paix, il allait les mener vers la liberté et peut importe combien de temps cela prendrait, combien de mort cela causerait. Courtère ne s'arrêterait jamais parce que sa soif de justice était intarissable.
  • Comment va la prisonnière, murmura-t-il doucement, avec une tendresse craintive.
  • Elle se décide à sortir de temps en temps, en compagnie de son garde.
  • Est-elle heureuse ?
  • Je ne dirai pas cela. Mais sa colère semble s'estomper.
  • Parfait...
  • Maître, je peux vous poser une question ? Demanda abruptement la jeune fille.
  • Fais, dit-il en plantant son regard dans le sien.
  • Pourquoi garder cette blasphématrice ? Je ne comprends pas. Nous aurions dût l'exécuter en place publique depuis longtemps mais vous avez refusé et à présent vous l'autorisez à des sorties. Nous, la garde grise, jugeons cela parfaitement inacceptable et indigne de vous.
  • Vous «jugez» ? Siffla-t-il dangereusement.
  • Oui, nous...,commença-t-elle. Elle ne put cependant terminer sa phrase car les bras psychiques de Courtère venaient de la soulever de terre et elle commençait à suffoquer. Il resserra doucement sa prise, lui souriant avec amour et compassion.
  • Qui vous autorise, abominables vermines, à porter jugement sur mon nom ? Le blasphème, c'est vous qui le commettez en répandant de pareilles insanités sur votre maître. Tu comprends Violetta ?
  • O...O...Oui..., articula-t-elle avec difficulté, ses mains tentant vainement de la libérer.
  • Que toi ou l'un d'entre vous tentes encore une fois de remettre en question l'une de mes décisions, je dis bien une seule, et je prendrais cela pour une haute trahison. J'exécuterai quiconque prononcera de nouveau ce genre d'insanités. En place publique.
  • B...Bien seigneur...
  • Si tu as comprit c'est parfait, s'exclama-t-il en la relâchant violemment sur le sol.
    Violetta s'écrasa sur le marbre et une toux étranglée résonna dans la pièce. Des marques violacées apparaissaient déjà autour de son cou et elle dût attendre quelques minutes pour retrouver un souffle normal. Elle se releva, d'abord sur un coude, puis réussit avec peine à se tenir debout. Elle paraissait moins fière, dans ses vêtements débraillés, ses cheveux en bataille et sa lèvre ensanglantée. Ses joues étaient maculées de sang et ses doigts étaient en loques. La plupart de ses ongles s'étaient arrachés lorsqu'elle avait tenté de se dégager et la douleur était atroce. Cependant, Violetta semblait ne rien ressentir. Courtère fini par la congédier après avoir fait le point sur ses conquêtes et défaites récentes. Désormais, La partie est d’Éden était à eux. Iryanthera n'était pas encore tombée mais ça ne tarderait pas. Les îles sous le vent étaient déjà toutes sous son joug et bientôt, il enverrait ses troupes en terre de feu. Il préférait attendre avant d'attaquer smene sezona. Il était risqué de prendre d'assaut les quatre royaumes sans faire preuve de ruse. Car chaque royaume isolé était fragile, mais lorsque leurs forces se réunissaient, ils devenaient invincibles. Courtère sortit de son bureau et traversa plusieurs couloirs avant de se retrouver dans un petit jardin intérieur éloigné des regards. Il aimait se retrouver ici lorsqu'il avait besoin de penser sans être perturbé par une quelconque présence. Ici, personne ne venait s'enquérir de ce qui pouvait bien lui arriver. Ce qui, stratégiquement, était une grossière erreur car on ne laisse pas un dirigeant sans protection. Cependant, Courtère était de ces hommes prévoyants qui mettaient bien en place ses lignes de défenses. Pour arriver jusqu'au petit jardin, il fallait d'abord franchir le village Etrac autour de sa citadelle grise. Il fallait ensuite escalader le mur qui y menait car il n'y avait pas de chemin direct pour y monter. Lorsqu'on arrivait enfin dans la cours de la citadelle, il fallait franchir trois murs d'enceintes, tous gardés par une centaine d'etracs issus de sa garde grise. A ce moment, seulement, on pénétrait dans la citadelle et celle-ci était encore gardée par ses meilleurs gardiens gris. Le petit jardin se trouvait au centre de du bâtiment et il fallait emprunter des passages dérobés pour y accéder. Autant dire que la tâche pour l'éliminer était fort ardue. Ça n'avait pas empêché certains assassins très talentueux de tenter l'expédition. La plupart avaient échoués dès qu'ils avaient atteint la cours. Les chanceux était allés jusqu'au second mur d'enceinte. Le plus dangereux avait réussi à entrer dans la citadelle. Mais aucun n'avait réussi à atteindre Courtère.
    Le maître gris se laissa choir sur un banc de bois et croisa ses jambes, habitude qu'il avait lorsqu'il réfléchissait. C'était un homme très cultivé et très raffiné. Sa façon favorite de tuer était bien évidemment l'étranglement, car cela évitait les tâches poisseuses sur les vêtements. Il était souvent vêtu de la même façon : un pantalon de toile couleur perle, une tunique à col argentée et des souliers, en toile également, noirs. C'était élégant, sobre et représentatif de l'état d'esprit du dirigeant. Un esprit tranchant comme une lame et une froideur à toutes épreuves.
    Il soupira. Qu'allait-il bien pouvoir faire de cette femme ? Elle était sa prisonnière depuis maintenant quatre ans et il ne savait toujours pas comment agir avec elle. Parfois, lorsqu'il lui rendait visite, ils avaient de longues discussions sur l'ancienne époque et sur leur passé. Puis parfois, elle se refermait complètement et ne lui adressait plus la parole. Il pouvait totalement la comprendre. Après tout, il avait commandité l'assassinat de son mari – à fortiori son ex-meilleur ami – et l'avait faite captive alors qu'elle aurait dût mourir également. Mais il n'avait pas pu s'y résoudre. Il n'avait pas pu accepter sa mort. Car, pour son plus grand malheur, Courtère était amoureux de cette femme. Terriblement et douloureusement amoureux. Depuis leur jeunesse jusqu'à aujourd'hui. Même si il avait d'or et déjà abandonné l'idée de la faire sienne. Après tout, elle restait tout de même un être impure, même si elle avait engendré l'être le plus parfait qui soi. La prisonnière ne lui servait plus qu'à une chose : attirer la reine dans ses filets et réveiller son pouvoir enfoui grâce à la douleur et le malheur. Courtère avait toujours été un très bon manipulateur et il captait très facilement les sentiments humains. Il prévoyait également très bien les réactions que pouvaient avoir ses semblables, etracs ou humains. Il savait qu'appuyer sur une plaie encore ouverte faisait plus mal qu'en créer une autre. Il savait également que la douleur pouvait rendre fou un homme et réveiller la partie sombre chez un individu. Contrairement à tous les autres pro-etracs avant lui, Courtère n'était pas le parfait dictateur. La preuve en était de cette faiblesse et cette réticence à exécuter son otage. Il n'en avait pas envie du tout. Ça le rebutait même un peu de devoir faire cela. Certes, il détestait tous les humains mais il pensait qu'il pouvait y avoir des exceptions. Il pensait que certains humains pouvaient également être choisis par Plokho lesu. Comme elle.
    Il secoua la tête. C'était insensé. Elle ne rallierait jamais son camps. Pas après s'être battue pour que les etracs soient les égaux des humains. Car cela signifiait qu'elle ne reconnaissait pas la toute puissance du peuple etrac mais la toute puissance de tous les peuples. Oh, qu'il avait pu aimer cette femme ! Et combien il regrettait aujourd'hui d'avoir croisé son regard. Car il allait devoir la tuer. Il allait devoir retirer la joie de ces yeux, éteindre la flamme, l'envie de vivre qui brûlait au fond de son cœur. Il allait prendre sa vie.
    Courtère s'affaissa légèrement sur le banc. Parfois, quand il était seul, il retombait dans ses années adolescentes. Quand la vie était encore paisible et que son seul souci était de réussir ses examens d'entrée. Quand son seul souci étaient de séduire la fille qu'il aimait. Quand son seul souci était de cacher qui il était vraiment. Il n'avait jamais eu honte de sa condition etrac, cependant il s'était rapidement rendu compte qu'il possédait un pouvoir exceptionnel. Incroyable. Il n'en avait jamais voulu à ses parents de l'avoir fait naître dans ce monde. Au contraire, par ce fait d'être unique, il avait développé une confiance en lui exacerbée qui s'était muée en narcissisme. Il serait le sauveur.
    Par la suite, en grandissant, il avait réalisé que ses pouvoirs d'etrac étaient plus puissants que ceux de ses parents ou que de ses autres amis. Par exemple, il pouvait créer des bras psychiques et avec, il pouvait écraser, déchirer, couper. Tuer. Il se rappelait ce jour de recensement etrac où un homme était venu chez eux pour évaluer leur niveau. C'était un etrac d'un réseau clandestin. Un historien, ou plus communément appelé un mémoriste par le peuple etrac. Les mémoristes étaient des etracs, souvent de niveau 0, qui à la façon des historiens humains, avaient décidés de retranscrire l'histoire etrac dans un livre. Courtère avait été un des premiers niveau 1 de stade 3 a être répertorié. Ses parents avaient accueillis la nouvelle avec frénésie. Leur fils ! Un prodige ! Déjà à cette époque, il arrivait qu'ai lieu des réunions clandestines chez eux. Des réunions pro-etracs bien évidemment. Petit, Courtère en restait éloigné, parce que pour lui, les discussions de grandes personnes étaient fastidieuses et sans commune mesure moins intéressantes que ses superbes jeux de cartes à collectionner. Plus grand, il avait comprit le véritable enjeux du parti et s'était engagé. C'était à cette époque qu'il avait fait la rencontre de Keela et Asmar. Ils avaient le même âge que lui et étaient éperdument amoureux. Asmar était devenu son meilleur ami et Keito sa meilleure amie, dont-il était secrètement amoureux. Il ne lui avait jamais révélé, même si il savait qu'elle était au courant. Il n'avait rien dit parce que malgré tout, il aimait Asmar, comme un frère. D'ailleurs, il avait essuyé une larme unique lorsqu'il avait dût l'abattre. Ça avait été cruel. Cette expression d’incompréhension sur son visage. Cette douleur profonde dans ses yeux. Ce regard qui disait «pourquoi me trahis-tu ?». Et Keela ne lui avait jamais pardonné cette acte barbare. Il avait tué l'amour de sa vie et ceci resterait gravé à jamais en elle.
  • Maître ?
  • Que veux-tu ? Marmonna-t-il à l'intrus d'un ton tranchant.
  • Je viens vous prévenir que nous venons de recevoir les nouvelles recrues de la garde rouge.
  • Bien.
  • Ils vous attendent dans la salle de balle pour le discours de bienvenue.
  • Combien sont-ils ?
  • Deux. Mais il y a quelque chose d'étrange maître, dit l'autre d'un ton inquiet.
  • Qu'est ce donc ? Demanda Courtère en haussant un sourcil d'un air altier.
  • Ils semblent...Eh bien...Ils paraissent, au vu de leur flux d'énergie et leurs examens sanguins...ils paraissent bel et bien...
  • Bel et bien quoi, que diable ! S'écria l'autre excédé de ce manque de réaction.
  • Ils paraissent humains.
    Courtère resta coït. C'était tout à fait impossible! Les etracs étaient repérables, si ce n'était par le flux énergétique, par une analyse sanguine, puisqu'ils produisaient des chloroplastes, organites permettant la photosynthèse et ainsi la transformation de rayons solaires en énergie. Or, apparemment, ces êtres en étaient dépourvus ! Normalement, ils auraient dût être incapable de développer les pouvoirs des etracs normaux. Il se leva, froissa sa tunique entre ses doigts et plissa les paupières. Il fallait qu'il observe cela au plus vite. Il s’engouffra donc dans le couloir qui menait à la salle de réunion, lieu où il accueillait les nouvelles recrues, qui servait également à leur mise à mort si ces dites recrues n'étaient pas réceptives à ses brillantes idées.
    Pour la première fois de sa vie, Courtère fut légèrement effrayé. Ce sentiment étrange le fit frissonner de plaisir et il le laissa l'envahir pleinement. Son cœur battit un peu plus vite, il sentit ses poils se hérisser avec délectation et sa bouche devenir sèche. Deux paires d'yeux rouges le fixaient. Un regard vide, profond et opaque. Opaque à tout endoctrinement, opaque à toute morale. Ces deux là étaient nés pour tuer, pour massacrer. Mais ils n'avaient pas été créés pour tuer les humains. C'était des hutracs de guerre. Ils étaient les plus grands acteurs du génocide etrac. Courtère se demanda comment ses hommes avaient pu passer à côté de ça, mais il se rappela rapidement que ses comparses ne pouvaient pas connaître la nature des deux humains qui se tenaient devant eux. Lui-même n'avait découvert ce secret que par hasard et il s'était bien gardé de l'ébruiter. Il ne voulait pas provoquer une panique générale parmi la population etrac qui peuplait son palais et ses alentours. Il soupira. Comme si il n'avait pas assez de problèmes! Courtère vint prendre place dans son large fauteuil de cuir et fixa les nouveaux arrivants, pensif. Il avait entendu parler de ces hutracs. Ces abominations créées génétiquement par les humains afin d’annihiler la race etrac, les élus de la Forêt.
    D'après ce qu'il avait lu, les hutracs étaient formés dès l'age de trois ans au combat et à la mise à mort ainsi qu'à la torture, qu'ils expérimentaient les uns sur les autres. A la façon de la garde rouge, les enfants étaient malmenés jusqu'à ce qu'ils atteignent un niveau jugé suffisant pour la guerre et étaient ensuite envoyés sur le champ de bataille. Bien sur, à présent, la guerre était terminée, la race etrac, interdite et les hutracs, oubliés. Le fait qu'il soit tombé sur ces deux spécimens était un miracle ou une malédiction. Ils ne devaient pas avoir plus de treize ans et semblaient en parfaite forme physique. Un garçon et une fille. Au poignet, un tatouage semblable à celui que portait Violetta. Ils portaient le numéro «1011000».
  • D'où venez vous ? Demanda le maître du domaine, avec lenteur.
  • Nous sommes d'Iryanthera, répondit le garçon d'un ton froid, plantant ses yeux rubis dans ceux de son vis-à-vis.
  • Dis plutôt que vous avez été créés là-bas...
  • Je ne vois pas de quoi vous..., se renfrogna l'autre, se comprenant découvert.
  • Trêve de bavardages, le coupa Courtère, dites moi immédiatement ce que vous venez faire ici ou je vous fait exécuter. Envoyer des hutracs chez moi ! L'Ordre rouge n'a vraiment pas froid aux yeux !
  • A vrai dire, murmura la jeune fille en prenant enfin la parole, nous nous sommes enfuis. Nous savions que vous recrutiez des etracs dans la garde rouge et nous avons profité de l'occasion. Je sais qu'on pourrai croire que nous sommes là pour mettre fin à vos agissements plus que douteux mais notre mission n'a rien à voir avec vous.
  • Quelle est-elle ?
  • Je ne peux malheureusement vous la dévoiler sans mettre ma vie en danger monseigneur...
  • Je vois...Une puce explosive...Plutôt ingénieux...
  • Écoutez, intervint le garçon, je vous en pris, nous souhaitons simplement nous nourrir correctement avant de reprendre la route. La mission qu'on nous a confié est ancrée en nous depuis notre naissance, nous n'avons pas le choix. Nous devons nous débrouiller pour la mener à bien, avec ou sans aide extérieure. Si vous nous venez en aide, je vous promet de vous jurer allégeance dès que notre mission sera terminée.
  • Bien...Ce marché me convient tout à fait...Larkil va vous mener à vos appartements. Mais avant, je souhaiterai connaître le nom de mes nouveaux invités.
  • Je me nomme Rael et elle, c'est Elia.
  • Bien, quand à moi on me connaît sous le nom de Courtère. Vous pouvez disposer.
    Quand les deux jeunes gens disparurent dans le couloir, suivant son fidèle serviteur Larkil, Courtère laissa exploser son contentement euphorique. Il explosa d'un rire tonitruant et rauque qui résonna en écho dans la salle du trône. Son trône équivalait pour le moment au fauteuil en cuir, mais un jour prochain, il aurait un autre, beaucoup plus royal que celui-là. Frissonnant de plaisir et d'idées machiavéliques, Courtère décida de retourner dans son petit jardin. Après tout, il avait désormais de nouveaux plans en tête grâce à l'arrivée de ces deux là. Il allait leur donner tout ce qu'ils voudraient et ensuite, il pourrait ainsi les rallier à sa cause. Avoir deux hutracs de son côté n'était pas de trop.
    Il n'avait pas encore retrouvé la reine qui plus est. Et plus elle grandissait, moins il pourrait la joindre à sa cause. En particuliers si elle était en lien avec les pirates. Ces imbéciles ne comprenaient rien à la noble quête que poursuivait Courtère. Il connaissait bien Labruyère et ses sbires et ceux-ci ne lui avaient d'ailleurs jamais fait confiance pour d'obscures raisons. Pourtant, Courtère avait tout fait pour s'intégrer. Mais ils l'avait rejeté. Pour ses idées extrémistes, bien sûr, mais surtout pour ses méthodes violentes et cruelles. Courtère ne faisait jamais dans la demi-mesure, en particuliers lorsqu'il avait des humains devant lui. La haine l'aveuglait. Il se souvenait d'un temps où il était plus gentil, plus compatissant. Il lui était même arrivé plusieurs fois de laisser la vie sauve à des prisonniers, humains ou non. Mais tout cela avait changé après la mort de ses parents. Ils les avaient vu se faire massacrer par les mêmes humains qui s'étaient prétendus ses amis quelques temps auparavant. Il avait eu le cœur brisé et la douleur l'avait rendu fou de colère. Une soif de sang et de revanche avait grandit en lui, renforcée par l'abandon de la femme qu'il aimait avec un etrac moins puissant que lui.
    Il n'avait jamais tout à fait pardonné à Keito d'avoir choisi Asmar. Il n'avait jamais totalement compris son choix non plus. Il était meilleur qu'Asmar, était plus fort, plus grand, plus beau et beaucoup plus intelligent. Alors pourquoi ? Certes, il avait commis plusieurs meurtres lorsqu'ils étaient ensemble, mais ça avait été pour son bien à elle qu'il avait fait tout ça. Il n'avait pas voulu la perdre.
    Courtère secoua la tête, c'était la deuxième fois aujourd'hui qu'il se laissait aller à ces mièvreries. Il valait mieux cesser immédiatement et se reconcentrer sur l'objectif à atteindre : la reine.




  • Dis Rael, tu crois qu'on va réussir ? Murmura Elia, allongée sur les draps de coton qui entouraient le lit.
  • Je l'espère. Je l'espère de tout mon cœur.
  • Mais lorsque notre mission sera accomplie, quel sera notre but ?
  • Vivre je suppose, comme des personnes normales.
    Elia resta perplexe. Elle ne comprenait pas tout à fait le terme «normal». En quoi était-elle différente des autres enfants qu'elle avait vu en arrivant? Elle pensait pourtant qu'ici, ils vivraient libres et en paix. Elle confronta son regard au reflet que lui renvoyait le miroir en face d'elle. Ils possédaient tous les deux une peau foncée, presque noire et leurs yeux étaient dorés à l'origine. Elle avait été un peu triste quand on leur avait injecté le colorant rouge dans les yeux. Ses longs cheveux blancs étaient ramenés en arrière par une natte et ses traits fins contractaient avec sa musculature très développée. Rael, lui, avait les cheveux courts et les traits durcis des enfants qui ont connu des événements difficiles. Elle ne savait pas d'où il venait exactement, elle l'avait rencontré au centre de formation de la garde rouge, mais elle l'avait reconnu tout de suite. Elle avait été attirée par lui. Elle avait su plus tard qu'ils avaient sans doute été créés en même temps puisqu'ils faisaient les mêmes rêves. Ces rêves étaient censés représenter leur future mission, à accomplir avant la fin de leur vie. Elia n'avait jamais vraiment compris non plus pourquoi on les avaient fait naître, si c'était pour semer le cauchemars et la désolation partout où ils passaient. Qui plus est, leurs pouvoirs étaient instables et on leur avait déconseillé de les utiliser avant leur quinze ans. Elia avait un mauvais pressentiment à propos de la mission. Elle tourna les yeux vers son compagnon. Celui-ci observait par la fenêtre le paysage. Il devait sans doute regarder les autres vivre cette vie qu'ils ne pourraient jamais avoir. Elia savait très bien, malgré son jeune age, qu'ils ne ressortiraient pas vivants de cette mission. Leurs rêves tournaient souvent au cauchemar et la personne qu'ils se devaient de tuer était plus que redoutable.
    Parfois, elle se réveillait en sursaut, les joues trempées de larmes et la peur étreignant son cœur d'enfant. Elle aurait voulu se cacher sous sa couette et ne plus en sortir. Mais les hutracs avaient une double menace pesant sur leur tête : le risque d'échouer en mourant ou la mort par abandon. En effet, si ils décidaient de ne pas accomplir leur mission, leurs dirigeants le sauraient. Ils actionneraient alors la micro-puce qui était implantée dans leurs deux cerveaux et cela entraînerait leur mort immédiate. Ils n'avaient aucunes échappatoires. Ils ne pouvaient qu'attendre la mort. Elle regarda autour d'elle. On ne s'était pas moqué d'eux en leur donnant la chambre. Elle était tout simplement magnifique. Un haut plafond, des murs en pierre recouverts de tapisseries colorées et de magnifiques lits à baldaquins. Sur le sol, des tapis s'étalaient pour recouvrir entièrement le sol de la pièce. De superbes tapis probablement importés d'orient. Elia reconnaissait les motifs qui sillonnaient les tissus orangés, rouges, marrons ou encore jaunes. Elle aurait pu suivre les courbes noires qui couraient sur les tapis à l'infini. Plusieurs plantes en pot étaient également disposées dans la pièce et elles dégageaient un parfum très agréable, presque soporifique. Ou peut-être était-ce les draps si confortables qu'on leurs avaient donnés. Ou bien était-ce les oreillers en plumes, si doux et si moelleux. Ou bien les matelas. Ou bien le fait qu'ils n'aient pas dormis sur un vrai lit depuis plus de trois ans. Ou bien était-ce parce que pour la première fois de sa vie, elle se sentait chez elle, en sécurité.
    Quand elle était petite, Elia croyait que la vie n'était qu'une souffrance ininterrompue. Elle avait torturé ses compagnons et ils l'avaient torturée. A l'âge de cinq ans, on lui avait appris à s'attaquer à un être et à le mettre à mort. Cette épreuve, particulièrement parmi celles qu'ils devaient affronter, l'avait profondément marquée. Au fond d'elle, Elia était toujours une petite fille, innocente, fragile et craintive.
    Son pouvoir était peut-être terrifiant pour les autres, mais il était encore plus terrifiant pour elle. Son corps contenait quelque chose qu'il n'aurait pas dût contenir et elle savait que son espérance de vie était largement réduite à cause de cela. De ce poison qui coulait dans ses veines, cette horreur qu'on lui avait inoculé. A plusieurs reprises, Rael lui avait dit qu'ils avaient été choisis pour cette mission, que c'était un honneur et qu'ils seraient couvert de gloire lorsque celle-ci serait accomplie. Elia, plus perspicace mais surtout plus méfiante, se doutait que se ne serait pas si facile. Elle avait appris, au centre, comment réfléchissaient les hauts dirigeants de l'Ordre rouge. Pour elle c'était clair: si ils menaient leur mission à bien et qu'ils ne revenaient pas vers Courtère par la suite, leur destin se résumerait à une mise à mort immédiate de ceux qui étaient censé les encenser.
  • Je le trouve magnifique ce palais en tout cas, remarqua t-elle distraitement.
  • Oui, approuva Rael. Sur le mur, il y a des endroits qui sont finement taillés. C'est incroyable ! En plus tout est fait de marbre ou de pierre ! Aucuns matériaux interdits, intéressant pour des profanes tout de même !
  • Tais-toi ! Siffla la jeune fille d'un ton paniqué. Si on t'entendais ! En plus, je te rappelle que le seigneur Courtère nous accueille avec sympathie et politesse. Cesses donc toutes ces gamineries !
  • Et c'est la fillette de treize ans qui me traite de gamin ? Rétorqua l'autre, sarcastique.
  • Toi aussi tu as treize ans je te rappelle !
    Elia se tut. Ou plutôt, Rael l'empêcha de continuer à parler en plaquant ses lèvres sur les siennes. Elle détestait quand il faisait ça. Pas l'embrasser. Ça non. Cependant, elle n'aimait pas qu'il se serve de ses désirs et de son attirance pour lui pour l'empêcher de se révolter. Elle le repoussa violemment et tenta de s'enfuir mais il la rattrapa et l'emprisonna contre un mur, reprenant ses tendres embrassades. Rael n'était jamais violent avec elle. Il pouvait avoir des paroles dures, mais jamais il n'avait porté la main sur elle ou avait été inconvenant de quelque manières que ce soit. D'après elle, c'était parce qu'elle était devenu sa famille. Elle avait été créée en même temps que lui, partageait les mêmes appréhensions, les mêmes sentiments confus face à leur destin et par-dessus tout, elle partageait avec lui un désir réciproque. Elle aimait sentir sa bouche courir le long de son cou, s'attarder à la naissance de sa nuque, avant de lui dévorer les lèvres, avidement. Elle se retrouva bientôt allongée sur le sol et, alors qu'il la déshabillait avec minutie, elle posa sa main sur son épaule, attirant son regard et lui indiquant d'un signe de tête qu'elle ne souhaitait pas continuer. Il lui sourit tranquillement et lui caressa la joue. Elia avait un peu froid, sa poitrine désormais à nu et ses vêtements éparpillés dans la pièce, aussi, Rael la porta jusqu'au lit et se coucha à ses côtés. Il était brûlant et elle savait qu'il était également excité. Cependant, ils n'étaient jamais allés aussi loin et elle souhaitait attendre encore. Non seulement ce n'était pas l'endroit mais ce n'était surtout pas le moment. Elle voulait, comme toutes les jeunes filles, quelque chose de somptueux et de magique. D'inoubliable.