Quand elle se réveilla, Nella était dans la forêt. Elle était
sur le dos et elle avait du mal à respirer. Elle cligna des yeux et
sentit ses paupières se coller à cause d'un liquide poisseux. En
levant les mains devant elle, elle se rendit compte qu'elle était
couverte de sang. Elle puait d'ailleurs. C'était une infection. Le
sang était sec qui plus est, elle devait donc être là depuis
plusieurs heures. Elle se releva avec difficulté. Ses jambes avaient
du mal à la porter. Cependant, elle était encore vivante et en état
de bouger. Elle décida donc de s'enfoncer dans la forêt. De toute
façon, elle ne pouvait plus retourner à Iryanthera maintenant. Les
formateurs allaient la chercher.
Elle décida de retourner au nid de craquolier. Là-bas au moins,
elle serait en sécurité.
Elle commença par chercher un plan d'eau. Elle devait se débarrasser
du sang. Lorsque cela fut fait, elle lava également ses vêtements
et se laissa sécher sur le sol pendant une bonne petite heure. Elle
attrapa quelques kriss pour se sustenter et reprit la route.
Nella n'avait plus vraiment voyagé seule depuis un moment. Les deux
premières excursions mises à part, elle avait toujours
retrouvé Diaedin ou Iarek en cours de route. Et bizarrement, cela
lui faisait du bien. Elle se retrouvait seule avec elle même et
c'était plutôt reposant. Elle laissa ses pensées défiler
tranquillement dans sa tête pendant qu'elle avançait. Elle
regardait le paysage, ne se prenait pas la tête. Tout était
tranquille – ce qui était plutôt étrange d'ailleurs – mais
Nella n'y faisait pas attention. Elle était seule et surtout, elle
était libre. Elle comptait bien en profiter.
Elle marcha donc ainsi pendant sept jours et atteint finalement le
nid. Elle avait retrouvé le chemin non par instinct, mais simplement
parce que les arbres l'y avait conduite. Elle apprécia cette forme
de ses prétendus pouvoirs. Les craquoliers ne l'attaquaient pas et
l'eau dont-ils s'abreuvaient ne semblait pas toxique contrairement
aux autres étangs qu'elle avait pu croiser.
La jeune fille entreprit de se construire un campement de fortune, ce
qui ne fut pas aisé puisqu'elle ne pouvait ramasser que les choses
qui ne venaient pas de craquoliers. Or étant dans un nid, elle ne
trouvait pas grand chose d'autre qui ne fut pas toxique ou agressif.
Elle réussit cependant – avec beaucoup d'effort – a s'aménager
une niche avec des énormes feuilles.
Nella regarda le soleil se coucher sur la canopée en repensant à
l'étrange semaine qu'elle venait de vivre. Elle ressentit à la fois
un bonheur intense et une extrême solitude. Et elle pensa également
à Iarek. Son ami, qui se retrouvait à présent tout seul avec
Violetta. Une violente vague de culpabilité la submergea. Elle
l'avait laissé avec cette furie et maintenant, sa survie ne serait
pas du tout assurée. Elle chassa cependant rapidement cette pensée
de son esprit, ne voulant pas entacher sa liberté nouvelle. Nella
n'avait connu l'amour que familiale et elle était trop jeune pour
savoir ce que signifiait «haïr» ou «être malheureux». Elle
avait déjà été triste parce qu'elle avait mal physiquement, mais
jamais parce que sa douleur était mentale. Elle ne ressentais pas
les mêmes émotions que Iarek, qui pouvait rentrer chez lui le
week-end. Sa famille ne le reconnaissait pas vraiment, mais d'après
lui, ils en étaient très fiers. Penser à la famille de Iarek amena
Nella à penser également à la famille de Diaedin. Elle se mit à
penser à son frère. Où était-il en ce moment et que pouvait-il
bien faire ? Peut-être dans une rue à voler des pommes pour
survivre ? Ou encore en train de soigner des malheureux grâce à son
don ?
Le lendemain, Nella décida d'explorer son nouveau coin de paradis.
Qui n'en était pas vraiment un finalement. Étant donné que les
craquoliers massacraient tout sur leur passage sans distinction, il
restait beaucoup d'ossement de pauvres premières années sur le sol
et Nella avait été plutôt dégoûtée en se rendant compte que les
arbres avaient même prévus une «poubelle» pour os d'humains.
C'était une fosse, creusée grossièrement, où tous les os étaient
entassés. La jeune fille avait réussi à surmonter son dégoût et
avait poursuivi son chemin. Elle était également repassée devant
la tombe de Diaedin – elle l'avait érigée avant de ramener Iarek
– et fut soulagée de constater qu'elle était intact. Au moins,
les arbres avaient un peu de dignité pour leurs morts. Même si on
aurait pu se demander si Diaedin en faisait bien partie.
Elle tourna en rond plusieurs jours et beaucoup de choses lui
apparurent. La première chose était que l'air semblait plus
respirable dans le nid de craquoliers que dans le reste de la forêt.
Deuxième chose, que l'eau était potable dans le nid des
craquoliers. Troisième chose, les kriss étaient vraiment excellents
dans cette partie de la forêt. Pas un seul malade ou en mauvaise
forme ! Et pourtant, à l'entrée de la forêt, ils n'étaient pas
forcément au top. Chasser était devenu très agréable et même si
sa vie était un peu gênée par le port perpétuel du masque, elle
s'y faisait. Elle ne l'enlevais que quand elle allait nager, parce
que les émanations de l'eau évitaient la propagation des spores
mais surtout parce que les plantes venimeuses n'étaient pas présent
à moins de deux kilomètres du nid et que donc, leurs spores
arrivaient rarement à bon port.
Nella fut également intriguée de constater que les kriss et les
daenkils n'étaient pas affectés par la forêt toxique. Ils étaient
pourtant des mammifères, tous comme les humains et leurs poumons
fonctionnaient de la même manière. Or, ils se portaient tous bien
voire mieux qu'elle.
Il est vrai que respirer dans la forêt était plutôt dangereux,
parce que sans antidote, on mourrait dans les cinq minutes,
cependant, dans le nid de craquoliers, les règles étaient
différentes et Nella se demanda ce qui se passerait si elle essayait
de respirer sans masque. Ne voulant pas mourir tout de suite, elle
décida de repousser cette expérience, qui n'était pas vitale pour
sa survie.
Une semaine après son arrivée, Nella fit la connaissance de
nouveaux petits animaux qu'elle n'avait encore jamais vu : des
quitzaks. Elle ignorait leur vrai nom mais leur cri – plutôt long
d'ailleurs – ressemblant à ce mot, elle les baptisa donc ainsi.
Ils avaient deux paires d'ailes sur les côtés latéraux de leur
corps et étaient colorés d'un magnifique vert émeraude. Les plumes
de leur queue étaient très longues et étaient jaunes, bleues et
rouges. C'était un oiseau majestueux et apparemment très coquet
puisqu'elle voyait souvent les petits et les grands se rendre aux
différentes mares pour se nettoyer. Ils semblaient se nourrir de
petits insectes qu'elle ne connaissaient pas et qui étaient tous
rouges. Leur bec avait une couleur assez inhabituelle puisqu'il était
noir et leurs yeux jaunes semblaient toujours vous demander la raison
de votre présence. C'était cependant des animaux très affectueux
car dès qu'elle passait à proximité d'un nid de quitzaks, tous le
monde volait vers elle, se posait sur son bras, sa tête ou même sa
main et ils marchaient tous comme ça jusqu'à ce qu'elle regagne le
nid des craquoliers.
D'ailleurs, la cohabitation avec les gros arbres avait été
difficile dès les premiers jours mais Nella avait décidé de
prendre le taureau par les cornes et leur avait carrément parlé.
Elle leur dit que c'était injuste, qu'elle venait de la forêt elle
aussi et qu'elle ne leur faisait pas de mal. Elle dit qu'elle
respectait toujours ses prises lorsqu'elle chassait et que c'était
un terrible manque de respect à sa personne que de briser sa cabane
à chaque fois qu'elle allait parcourir la forêt. Elle rajouta
finalement à la fin que c'était du racisme que de la traiter de
cette façon puisqu'elle avait elle aussi été rejetée par les
humains.
Son petit discours larmoyant sembla avoir de l'effet parce que dès
le lendemain, lorsqu'elle rentra, sa cabane était intacte.
Les jours suivants, Nella fit encore pleins de découvertes. Tout
d'abord, elle sauva un petit daenkil de la noyade et comme si ce
n'était pas suffisant, celui-ci la prit pour sa mère et il se mit à
la suivre partout. Elle décida qu'un peu de compagnie ne lui ferait
pas de mal et elle se décida donc à l'apprivoiser. Ce qui ne fut
pas tâche aisée parce qu'il fallut tout d'abord lui trouver un
prénom. Elle décida après maintes réflexions que «Loan» serait
satisfaisant pour ce petit animal. Cependant, son dressage fut encore
plus périlleux. Loan était arrogant, n'écoutant rien et pensant
que s'attaquer à un craquolier était une chose intelligente. Elle
dut redoubler d'effort pour lui faire comprendre les choses, encore
plus pour lui faire distinguer les choses à faire et à ne pas faire
en forêt. Elle décida de lui apprendre également à chasser car si
elle devait être tuée, il fallait qu'il sache se débrouiller tout
seul. Cette partie fut plus simple, notamment parce qu'elle reposait
principalement sur les capacités primaires et instinctive de chasse
que possédait le daenkil depuis sa naissance. L'avantage de cette
rencontre, fut que Nella put découvrir de nombreuses choses sur ces
animaux prétendument dangereux. En réalité, si on l'apprivoisait
correctement, le daenkil pouvait être tout à fait correct. Il avait
la capacité de sortir ses griffes uniquement lorsque son organisme
ressentait du stress ou de l'inquiétude, or lorsque Nella le prenait
sur ses genoux et lui caressait la tête, il n'avait pas le moindre
nuage dans la tête. Il ne lui arrivait jamais non plus de perdre son
sang froid en présence de viande fraîche ou de sang. Les daenkils
étaient en fait des animaux plutôt calmes en dehors de leur nature
de chasseurs et Nella était intriguée chaque jour un peu plus par
son nouvel ami. Il la défendait également lorsqu'elle se retrouvait
en situation délicate et il devint rapidement un atout à avoir dans
cette grande forêt.
La soir, Nella prit également l'habitude de regarder le soleil se
coucher sur la canopée. Avec Loan, elle grimpait tout en haut du
plus haut des craquoliers et elle restait là des heures à penser, à
se souvenir et à se dire qu'elle n'avait vraiment pas eu de chance
dans cette histoire. Elle était seule.
Ça faisait trois semaines qu'elle se trouvait dans cette forêt et
quand elle se réveilla ce matin là, elle eu un pressentiment
étrange. Comme si son exil prenait fin. Elle décida d'aller pécher
et après s'être dégagée de Loan qui lui servait d'oreiller pour
la nuit, elle déjeuna rapidement et prit son harpon. Elle resta
quelques instants sur la rive à contempler les eaux bleues du lac.
Elle se sentait bien finalement ici et elle ne comprenait pas comment
les humains avaient pu détériorer à ce point la planète pour
qu'elle se rebelle de cette façon.
C'était un juste retour des choses mais elle trouvait ça dommage.
Elle aurait voulu connaître la terre avant son invasion par les
hommes et sa chute. Maintenant, tout n'était que violence, méfiance
et toxicité dans la forêt.
Elle retira son masque, ses vêtements et plongea dans l'eau tiède.
Elle chercha un petit moment avant de dénicher ce qu'elle voulait.
Il y avait pas mal de petits poissons dans les rivières mais dans
les mares ou les étangs, il y en avait de plus gros et pas forcément
plus dangereux. En général, les petits poissons étaient très
toxiques et plus ils grossissaient, moins ils risquaient de vous
empoisonner. C'était d'ailleurs ce qu'on leur avait répété au
centre «si vous devez pécher, pas de petits, que des gros». Elle
en repéra un de taille ainsi imposante, qui nageait à reculons pour
lui échapper. Elle nagea encore plus vite et alors qu'il tentait de
se cacher sous un rocher, elle planta son harpon en plein milieu du
corps du pauvre poisson. Il se tortilla comme il put mais avec son
couteau, Nella avait taillé le bout du bois de façon à ce qu'une
fois le poisson pris, il ne puisse plus s'échapper. Elle remonta à
la surface et fut brusquement saisie par la surprise. Un autre humain
se trouvait sur la berge ! Elle se cacha derrière une racine et
l'observa. Il avait la peau foncée et de jolis yeux. Il regardait
tout autour de lui. Elle détailla ses vêtements : une chemise
blanche, probablement en flanelle et un pantalon en tissu rigide. Il
portait également d'étranges bottes qui se rabattaient sur le haut.
Autour de son cou brillait une chaîne en or et elle se demanda si il
n'était pas un peu naïf de se balader comme ça dans une forêt et
tout seul.
Elle vit Loan s'approcher de lui et s'extasia. Il allait le faire
décamper ! Elle fut déçue de voir que l'animal venait juste de
sympathiser avec l'intrus. Au lieu de le mordre, il venait de lui
grimper dessus cet imbécile ! Elle se frappa le front. Il faudrait
revoir les manières de ce Daenkil.
Elle décida cependant que si Loan ne faisait rien, c'était à elle
de s'en occuper. Elle ne le tuerait peut-être pas mais en tout cas,
elle le ferait déguerpir d'ici. Il n'était pas bon de rester près
d'elle. Elle était un monstre. Un terrible monstre. Elle ne voulait
pas tuer ce garçon. Pas seulement parce qu'il avait les yeux
brillant mais aussi parce qu'il lui rappelait quelqu'un. En nageant
vers lui, elle eu soudain un flash. Ce pouvait-il que ce type soit le
frère de Diaedin ? Mais que pouvait-il bien faire ici et pourquoi
maintenant ? Elle se dit qu'elle lui poserait directement la
question. Elle allait prendre la parole quand elle se rendit compte
qu'elle n'avait pas de vêtements. Mince ! Ce fut avec une
frustration terrible qu'elle vit son petit tas d'habits à quelques
mètres de la tombe de son ancien compagnon. Maintenant il ne lui
restait plus qu'à prévenir l'intrus qu'il valait mieux garder les
yeux bien fermés. En plus, il y avait les cicatrices sur son corps.
Il ne trouverait sans doute pas ça beau du tout. Elle sortit de
l'eau silencieusement et murmura :
- Ferme les yeux je ne suis pas habillée. Si tu bouges, tu meurs.
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