vendredi 3 mai 2013

Chapitre 4




             Quand elle se réveilla, Nella était dans la forêt. Elle était sur le dos et elle avait du mal à respirer. Elle cligna des yeux et sentit ses paupières se coller à cause d'un liquide poisseux. En levant les mains devant elle, elle se rendit compte qu'elle était couverte de sang. Elle puait d'ailleurs. C'était une infection. Le sang était sec qui plus est, elle devait donc être là depuis plusieurs heures. Elle se releva avec difficulté. Ses jambes avaient du mal à la porter. Cependant, elle était encore vivante et en état de bouger. Elle décida donc de s'enfoncer dans la forêt. De toute façon, elle ne pouvait plus retourner à Iryanthera maintenant. Les formateurs allaient la chercher.
Elle décida de retourner au nid de craquolier. Là-bas au moins, elle serait en sécurité.
Elle commença par chercher un plan d'eau. Elle devait se débarrasser du sang. Lorsque cela fut fait, elle lava également ses vêtements et se laissa sécher sur le sol pendant une bonne petite heure. Elle attrapa quelques kriss pour se sustenter et reprit la route.
Nella n'avait plus vraiment voyagé seule depuis un moment. Les deux premières excursions mises à part, elle avait toujours retrouvé Diaedin ou Iarek en cours de route. Et bizarrement, cela lui faisait du bien. Elle se retrouvait seule avec elle même et c'était plutôt reposant. Elle laissa ses pensées défiler tranquillement dans sa tête pendant qu'elle avançait. Elle regardait le paysage, ne se prenait pas la tête. Tout était tranquille – ce qui était plutôt étrange d'ailleurs – mais Nella n'y faisait pas attention. Elle était seule et surtout, elle était libre. Elle comptait bien en profiter.
Elle marcha donc ainsi pendant sept jours et atteint finalement le nid. Elle avait retrouvé le chemin non par instinct, mais simplement parce que les arbres l'y avait conduite. Elle apprécia cette forme de ses prétendus pouvoirs. Les craquoliers ne l'attaquaient pas et l'eau dont-ils s'abreuvaient ne semblait pas toxique contrairement aux autres étangs qu'elle avait pu croiser.
La jeune fille entreprit de se construire un campement de fortune, ce qui ne fut pas aisé puisqu'elle ne pouvait ramasser que les choses qui ne venaient pas de craquoliers. Or étant dans un nid, elle ne trouvait pas grand chose d'autre qui ne fut pas toxique ou agressif. Elle réussit cependant – avec beaucoup d'effort – a s'aménager une niche avec des énormes feuilles.
Nella regarda le soleil se coucher sur la canopée en repensant à l'étrange semaine qu'elle venait de vivre. Elle ressentit à la fois un bonheur intense et une extrême solitude. Et elle pensa également à Iarek. Son ami, qui se retrouvait à présent tout seul avec Violetta. Une violente vague de culpabilité la submergea. Elle l'avait laissé avec cette furie et maintenant, sa survie ne serait pas du tout assurée. Elle chassa cependant rapidement cette pensée de son esprit, ne voulant pas entacher sa liberté nouvelle. Nella n'avait connu l'amour que familiale et elle était trop jeune pour savoir ce que signifiait «haïr» ou «être malheureux». Elle avait déjà été triste parce qu'elle avait mal physiquement, mais jamais parce que sa douleur était mentale. Elle ne ressentais pas les mêmes émotions que Iarek, qui pouvait rentrer chez lui le week-end. Sa famille ne le reconnaissait pas vraiment, mais d'après lui, ils en étaient très fiers. Penser à la famille de Iarek amena Nella à penser également à la famille de Diaedin. Elle se mit à penser à son frère. Où était-il en ce moment et que pouvait-il bien faire ? Peut-être dans une rue à voler des pommes pour survivre ? Ou encore en train de soigner des malheureux grâce à son don ?
Le lendemain, Nella décida d'explorer son nouveau coin de paradis. Qui n'en était pas vraiment un finalement. Étant donné que les craquoliers massacraient tout sur leur passage sans distinction, il restait beaucoup d'ossement de pauvres premières années sur le sol et Nella avait été plutôt dégoûtée en se rendant compte que les arbres avaient même prévus une «poubelle» pour os d'humains. C'était une fosse, creusée grossièrement, où tous les os étaient entassés. La jeune fille avait réussi à surmonter son dégoût et avait poursuivi son chemin. Elle était également repassée devant la tombe de Diaedin – elle l'avait érigée avant de ramener Iarek – et fut soulagée de constater qu'elle était intact. Au moins, les arbres avaient un peu de dignité pour leurs morts. Même si on aurait pu se demander si Diaedin en faisait bien partie.
Elle tourna en rond plusieurs jours et beaucoup de choses lui apparurent. La première chose était que l'air semblait plus respirable dans le nid de craquoliers que dans le reste de la forêt. Deuxième chose, que l'eau était potable dans le nid des craquoliers. Troisième chose, les kriss étaient vraiment excellents dans cette partie de la forêt. Pas un seul malade ou en mauvaise forme ! Et pourtant, à l'entrée de la forêt, ils n'étaient pas forcément au top. Chasser était devenu très agréable et même si sa vie était un peu gênée par le port perpétuel du masque, elle s'y faisait. Elle ne l'enlevais que quand elle allait nager, parce que les émanations de l'eau évitaient la propagation des spores mais surtout parce que les plantes venimeuses n'étaient pas présent à moins de deux kilomètres du nid et que donc, leurs spores arrivaient rarement à bon port.
Nella fut également intriguée de constater que les kriss et les daenkils n'étaient pas affectés par la forêt toxique. Ils étaient pourtant des mammifères, tous comme les humains et leurs poumons fonctionnaient de la même manière. Or, ils se portaient tous bien voire mieux qu'elle.
Il est vrai que respirer dans la forêt était plutôt dangereux, parce que sans antidote, on mourrait dans les cinq minutes, cependant, dans le nid de craquoliers, les règles étaient différentes et Nella se demanda ce qui se passerait si elle essayait de respirer sans masque. Ne voulant pas mourir tout de suite, elle décida de repousser cette expérience, qui n'était pas vitale pour sa survie.
Une semaine après son arrivée, Nella fit la connaissance de nouveaux petits animaux qu'elle n'avait encore jamais vu : des quitzaks. Elle ignorait leur vrai nom mais leur cri – plutôt long d'ailleurs – ressemblant à ce mot, elle les baptisa donc ainsi. Ils avaient deux paires d'ailes sur les côtés latéraux de leur corps et étaient colorés d'un magnifique vert émeraude. Les plumes de leur queue étaient très longues et étaient jaunes, bleues et rouges. C'était un oiseau majestueux et apparemment très coquet puisqu'elle voyait souvent les petits et les grands se rendre aux différentes mares pour se nettoyer. Ils semblaient se nourrir de petits insectes qu'elle ne connaissaient pas et qui étaient tous rouges. Leur bec avait une couleur assez inhabituelle puisqu'il était noir et leurs yeux jaunes semblaient toujours vous demander la raison de votre présence. C'était cependant des animaux très affectueux car dès qu'elle passait à proximité d'un nid de quitzaks, tous le monde volait vers elle, se posait sur son bras, sa tête ou même sa main et ils marchaient tous comme ça jusqu'à ce qu'elle regagne le nid des craquoliers.
D'ailleurs, la cohabitation avec les gros arbres avait été difficile dès les premiers jours mais Nella avait décidé de prendre le taureau par les cornes et leur avait carrément parlé. Elle leur dit que c'était injuste, qu'elle venait de la forêt elle aussi et qu'elle ne leur faisait pas de mal. Elle dit qu'elle respectait toujours ses prises lorsqu'elle chassait et que c'était un terrible manque de respect à sa personne que de briser sa cabane à chaque fois qu'elle allait parcourir la forêt. Elle rajouta finalement à la fin que c'était du racisme que de la traiter de cette façon puisqu'elle avait elle aussi été rejetée par les humains.
Son petit discours larmoyant sembla avoir de l'effet parce que dès le lendemain, lorsqu'elle rentra, sa cabane était intacte.
Les jours suivants, Nella fit encore pleins de découvertes. Tout d'abord, elle sauva un petit daenkil de la noyade et comme si ce n'était pas suffisant, celui-ci la prit pour sa mère et il se mit à la suivre partout. Elle décida qu'un peu de compagnie ne lui ferait pas de mal et elle se décida donc à l'apprivoiser. Ce qui ne fut pas tâche aisée parce qu'il fallut tout d'abord lui trouver un prénom. Elle décida après maintes réflexions que «Loan» serait satisfaisant pour ce petit animal. Cependant, son dressage fut encore plus périlleux. Loan était arrogant, n'écoutant rien et pensant que s'attaquer à un craquolier était une chose intelligente. Elle dut redoubler d'effort pour lui faire comprendre les choses, encore plus pour lui faire distinguer les choses à faire et à ne pas faire en forêt. Elle décida de lui apprendre également à chasser car si elle devait être tuée, il fallait qu'il sache se débrouiller tout seul. Cette partie fut plus simple, notamment parce qu'elle reposait principalement sur les capacités primaires et instinctive de chasse que possédait le daenkil depuis sa naissance. L'avantage de cette rencontre, fut que Nella put découvrir de nombreuses choses sur ces animaux prétendument dangereux. En réalité, si on l'apprivoisait correctement, le daenkil pouvait être tout à fait correct. Il avait la capacité de sortir ses griffes uniquement lorsque son organisme ressentait du stress ou de l'inquiétude, or lorsque Nella le prenait sur ses genoux et lui caressait la tête, il n'avait pas le moindre nuage dans la tête. Il ne lui arrivait jamais non plus de perdre son sang froid en présence de viande fraîche ou de sang. Les daenkils étaient en fait des animaux plutôt calmes en dehors de leur nature de chasseurs et Nella était intriguée chaque jour un peu plus par son nouvel ami. Il la défendait également lorsqu'elle se retrouvait en situation délicate et il devint rapidement un atout à avoir dans cette grande forêt.
La soir, Nella prit également l'habitude de regarder le soleil se coucher sur la canopée. Avec Loan, elle grimpait tout en haut du plus haut des craquoliers et elle restait là des heures à penser, à se souvenir et à se dire qu'elle n'avait vraiment pas eu de chance dans cette histoire. Elle était seule.
Ça faisait trois semaines qu'elle se trouvait dans cette forêt et quand elle se réveilla ce matin là, elle eu un pressentiment étrange. Comme si son exil prenait fin. Elle décida d'aller pécher et après s'être dégagée de Loan qui lui servait d'oreiller pour la nuit, elle déjeuna rapidement et prit son harpon. Elle resta quelques instants sur la rive à contempler les eaux bleues du lac. Elle se sentait bien finalement ici et elle ne comprenait pas comment les humains avaient pu détériorer à ce point la planète pour qu'elle se rebelle de cette façon.
C'était un juste retour des choses mais elle trouvait ça dommage. Elle aurait voulu connaître la terre avant son invasion par les hommes et sa chute. Maintenant, tout n'était que violence, méfiance et toxicité dans la forêt.
Elle retira son masque, ses vêtements et plongea dans l'eau tiède. Elle chercha un petit moment avant de dénicher ce qu'elle voulait. Il y avait pas mal de petits poissons dans les rivières mais dans les mares ou les étangs, il y en avait de plus gros et pas forcément plus dangereux. En général, les petits poissons étaient très toxiques et plus ils grossissaient, moins ils risquaient de vous empoisonner. C'était d'ailleurs ce qu'on leur avait répété au centre «si vous devez pécher, pas de petits, que des gros». Elle en repéra un de taille ainsi imposante, qui nageait à reculons pour lui échapper. Elle nagea encore plus vite et alors qu'il tentait de se cacher sous un rocher, elle planta son harpon en plein milieu du corps du pauvre poisson. Il se tortilla comme il put mais avec son couteau, Nella avait taillé le bout du bois de façon à ce qu'une fois le poisson pris, il ne puisse plus s'échapper. Elle remonta à la surface et fut brusquement saisie par la surprise. Un autre humain se trouvait sur la berge ! Elle se cacha derrière une racine et l'observa. Il avait la peau foncée et de jolis yeux. Il regardait tout autour de lui. Elle détailla ses vêtements : une chemise blanche, probablement en flanelle et un pantalon en tissu rigide. Il portait également d'étranges bottes qui se rabattaient sur le haut. Autour de son cou brillait une chaîne en or et elle se demanda si il n'était pas un peu naïf de se balader comme ça dans une forêt et tout seul.
Elle vit Loan s'approcher de lui et s'extasia. Il allait le faire décamper ! Elle fut déçue de voir que l'animal venait juste de sympathiser avec l'intrus. Au lieu de le mordre, il venait de lui grimper dessus cet imbécile ! Elle se frappa le front. Il faudrait revoir les manières de ce Daenkil.
Elle décida cependant que si Loan ne faisait rien, c'était à elle de s'en occuper. Elle ne le tuerait peut-être pas mais en tout cas, elle le ferait déguerpir d'ici. Il n'était pas bon de rester près d'elle. Elle était un monstre. Un terrible monstre. Elle ne voulait pas tuer ce garçon. Pas seulement parce qu'il avait les yeux brillant mais aussi parce qu'il lui rappelait quelqu'un. En nageant vers lui, elle eu soudain un flash. Ce pouvait-il que ce type soit le frère de Diaedin ? Mais que pouvait-il bien faire ici et pourquoi maintenant ? Elle se dit qu'elle lui poserait directement la question. Elle allait prendre la parole quand elle se rendit compte qu'elle n'avait pas de vêtements. Mince ! Ce fut avec une frustration terrible qu'elle vit son petit tas d'habits à quelques mètres de la tombe de son ancien compagnon. Maintenant il ne lui restait plus qu'à prévenir l'intrus qu'il valait mieux garder les yeux bien fermés. En plus, il y avait les cicatrices sur son corps. Il ne trouverait sans doute pas ça beau du tout. Elle sortit de l'eau silencieusement et murmura :
  • Ferme les yeux je ne suis pas habillée. Si tu bouges, tu meurs.

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