mardi 2 avril 2013

Chapitre 9



Chapitre 9


Courtère s'assit dans son fauteuil, pensif. La reine était en fuite et il n'allait pas la retrouver de si elle errait comme un animal dans la Forêt. Il grimaça, se leva brutalement et fit voler tout ce qui se trouvait sur le bureau devant lui. Les papiers s'éparpillèrent dans la pièce tandis que les coffrets allaient s'écraser sur le sol et que l'encre se répandaient de part et d'autre du meuble de bois. Il se rassit, toujours aussi en colère. Comment avait-elle pu échapper à la surveillance de la garde rouge ! Il s'était pourtant assuré, lorsque ses parents avaient été arrêtés, qu'elle ne soit pas exécutée mais envoyée en tant que traîtresse à l'empire en centre de formation ! Il n'avait cependant pas prévu son caractère rebelle et belliqueux. Pendant quatre années, Courtère avait surveillé de loin les agissements de cette enfant. Mais maintenant qu'elle lui avait échappé, où pouvait-elle se trouver, et avec qui ? Elle avait peut-être embarqué sur un vaisseau pirate ou pire, elle s'était peut-être fait tuer ! Même si la Forêt ne grouillait pas de mercenaires Etracs, il y en avait parfois quelques-uns et Courtère ne leur faisait absolument pas confiance. Il se mordit la lèvre, portant à sa bouche l'unique verre de vin à avoir échappé à son déferlement de rage. Il but le liquide carmin doucement, le laissant glisser dans sa gorge. Dire qu'il avait torturé et tué tous ces imbéciles de dirigeants, d'esclaves et de soldats, tout ça pour que ce qu'il voulait lui file entre les doigts.
La porte de son bureau s'ouvrit alors brusquement, le sortant de ses pensées, dévoilant une jeune fille de quinze ans, vêtue d'un pantalon et d'un haut de cuir gris et de bottes noires. A sa taille, une épée solaire, un poignard de diamant et une arme à feu solaire. Courtère avait toujours préféré les armes blanches, cependant il acceptait qu'aujourd'hui, sa garde soit armée en conséquence. Si il voulait mener la guerre qu'il désirait mener, il lui fallait faire preuve d’abnégation et de sagesse. La jeune fille était chauve, seule subsistait sur son crâne une tresse noires, se balançant derrière son dos lorsqu'elle marchait. Elle mit à genoux à terre et courba la tête, évitant soigneusement de le regarder. Cela mit le dirigeant de bonne humeur. Il était fort agréable de constater que sa garde lui était fidèle. Surtout sachant que la plupart de ses gardiens gris étaient des anciens de la garde rouge. Il ricana intérieurement. Si seulement l'empire savait qu'il leur volait leurs jeunes recrues sous leur nez ! Courtère était un stratège intelligent et plus rusé qu'on aurait pu le croire. Pour recruter sa garde grise, il choisissait bien évidemment des etracs, mais surtout des etracs formés au combat – même si ceux qui ne l'étaient pas ne tardaient pas à connaître eux aussi les joies de l'apprentissage de la guerre. Courtère moissonnait donc tout au long de l'année, pendant les excursions. Il repérait les etracs, les enlevaient durant une de leurs fameuses excursions puis les emmenaient dans son palais où ils suivaient une formation poussée de la guerre, un nouvel endoctrinement et surtout un apprentissage de leurs pouvoirs.
La plupart des etracs recueillis par Courtère étaient orphelins et on leur avait toujours dit de garder leurs pouvoir secrets. Leurs parents avaient été massacrés, mais comme ils étaient trop jeune et que l'Ordre rouge ne voulait pas choquer l'opinion publique, ils avaient été sauvés comme pupille de l'état et envoyés en centre pour soit-disant «les purifier».
  • Alors ton rapport Violetta ?
  • D'après nos hommes, elle serait effectivement sur la Dame du ciel.
  • Malédiction ! Siffla l'homme en envoyant valser à son tour le verre. Celui-ci alla exploser contre un mur et répandit ses morceaux au sol.
  • Elle semble en pleine forme cependant et Labruyère semble l'entraîner à développer ses pouvoirs.
  • Il suffit ! Ce que tu me racontes là n'est que sottises ! A quoi cela peut-il bien me servir de savoir que MA reine, que TU aurais dût ramener, est entraînée par quelqu'un d'autre !
  • Eh bien, bredouilla la jeune fille d'une voix mal assurée, cela signifie qu'elle déploie ses pouvoirs et que lorsque nous la cueillerons, notre reine sera à son apogée...
  • Tu n'as pas tord. Cependant, c'est un risque à prendre que de leur confier. Nous avons des espions sur la Dame du ciel ?
  • Oui seigneur. Numéro 11 est un excellent candidat. Qui plus est, il est proche des amis de la reine. Il pourra parfaitement s'en approcher.
  • Est-il suffisamment discret ?
  • Assurément.
  • Bien. Tu peux t'asseoir, dit-il en lui indiquant la dernière chaise en bon état.
    Violetta gagna rapidement sa place, les mains jointes et les yeux toujours rivés au sol. C'était un affront de regarder Courtère dans les yeux. Il était un dieu vivant pour tous les etracs qui vivaient ici avec lui. Il était capable de parler à la grande Plokho lesu. Il était l'intermédiaire entre les dieux arbres et les élus. Le peuple choisi par la grâce divine pour être la nouvelle espèce humaine. Un peuple traqué et condamné par les blasphémateurs pour les pouvoirs que leur avait accordée Plokho lesu. Courtère était le meneur du peuple libre et le sauveur de l'humanité etrac. Il allait les mener vers la paix, il allait les mener vers la liberté et peut importe combien de temps cela prendrait, combien de mort cela causerait. Courtère ne s'arrêterait jamais parce que sa soif de justice était intarissable.
  • Comment va la prisonnière, murmura-t-il doucement, avec une tendresse craintive.
  • Elle se décide à sortir de temps en temps, en compagnie de son garde.
  • Est-elle heureuse ?
  • Je ne dirai pas cela. Mais sa colère semble s'estomper.
  • Parfait...
  • Maître, je peux vous poser une question ? Demanda abruptement la jeune fille.
  • Fais, dit-il en plantant son regard dans le sien.
  • Pourquoi garder cette blasphématrice ? Je ne comprends pas. Nous aurions dût l'exécuter en place publique depuis longtemps mais vous avez refusé et à présent vous l'autorisez à des sorties. Nous, la garde grise, jugeons cela parfaitement inacceptable et indigne de vous.
  • Vous «jugez» ? Siffla-t-il dangereusement.
  • Oui, nous...,commença-t-elle. Elle ne put cependant terminer sa phrase car les bras psychiques de Courtère venaient de la soulever de terre et elle commençait à suffoquer. Il resserra doucement sa prise, lui souriant avec amour et compassion.
  • Qui vous autorise, abominables vermines, à porter jugement sur mon nom ? Le blasphème, c'est vous qui le commettez en répandant de pareilles insanités sur votre maître. Tu comprends Violetta ?
  • O...O...Oui..., articula-t-elle avec difficulté, ses mains tentant vainement de la libérer.
  • Que toi ou l'un d'entre vous tentes encore une fois de remettre en question l'une de mes décisions, je dis bien une seule, et je prendrais cela pour une haute trahison. J'exécuterai quiconque prononcera de nouveau ce genre d'insanités. En place publique.
  • B...Bien seigneur...
  • Si tu as comprit c'est parfait, s'exclama-t-il en la relâchant violemment sur le sol.
    Violetta s'écrasa sur le marbre et une toux étranglée résonna dans la pièce. Des marques violacées apparaissaient déjà autour de son cou et elle dût attendre quelques minutes pour retrouver un souffle normal. Elle se releva, d'abord sur un coude, puis réussit avec peine à se tenir debout. Elle paraissait moins fière, dans ses vêtements débraillés, ses cheveux en bataille et sa lèvre ensanglantée. Ses joues étaient maculées de sang et ses doigts étaient en loques. La plupart de ses ongles s'étaient arrachés lorsqu'elle avait tenté de se dégager et la douleur était atroce. Cependant, Violetta semblait ne rien ressentir. Courtère fini par la congédier après avoir fait le point sur ses conquêtes et défaites récentes. Désormais, La partie est d’Éden était à eux. Iryanthera n'était pas encore tombée mais ça ne tarderait pas. Les îles sous le vent étaient déjà toutes sous son joug et bientôt, il enverrait ses troupes en terre de feu. Il préférait attendre avant d'attaquer smene sezona. Il était risqué de prendre d'assaut les quatre royaumes sans faire preuve de ruse. Car chaque royaume isolé était fragile, mais lorsque leurs forces se réunissaient, ils devenaient invincibles. Courtère sortit de son bureau et traversa plusieurs couloirs avant de se retrouver dans un petit jardin intérieur éloigné des regards. Il aimait se retrouver ici lorsqu'il avait besoin de penser sans être perturbé par une quelconque présence. Ici, personne ne venait s'enquérir de ce qui pouvait bien lui arriver. Ce qui, stratégiquement, était une grossière erreur car on ne laisse pas un dirigeant sans protection. Cependant, Courtère était de ces hommes prévoyants qui mettaient bien en place ses lignes de défenses. Pour arriver jusqu'au petit jardin, il fallait d'abord franchir le village Etrac autour de sa citadelle grise. Il fallait ensuite escalader le mur qui y menait car il n'y avait pas de chemin direct pour y monter. Lorsqu'on arrivait enfin dans la cours de la citadelle, il fallait franchir trois murs d'enceintes, tous gardés par une centaine d'etracs issus de sa garde grise. A ce moment, seulement, on pénétrait dans la citadelle et celle-ci était encore gardée par ses meilleurs gardiens gris. Le petit jardin se trouvait au centre de du bâtiment et il fallait emprunter des passages dérobés pour y accéder. Autant dire que la tâche pour l'éliminer était fort ardue. Ça n'avait pas empêché certains assassins très talentueux de tenter l'expédition. La plupart avaient échoués dès qu'ils avaient atteint la cours. Les chanceux était allés jusqu'au second mur d'enceinte. Le plus dangereux avait réussi à entrer dans la citadelle. Mais aucun n'avait réussi à atteindre Courtère.
    Le maître gris se laissa choir sur un banc de bois et croisa ses jambes, habitude qu'il avait lorsqu'il réfléchissait. C'était un homme très cultivé et très raffiné. Sa façon favorite de tuer était bien évidemment l'étranglement, car cela évitait les tâches poisseuses sur les vêtements. Il était souvent vêtu de la même façon : un pantalon de toile couleur perle, une tunique à col argentée et des souliers, en toile également, noirs. C'était élégant, sobre et représentatif de l'état d'esprit du dirigeant. Un esprit tranchant comme une lame et une froideur à toutes épreuves.
    Il soupira. Qu'allait-il bien pouvoir faire de cette femme ? Elle était sa prisonnière depuis maintenant quatre ans et il ne savait toujours pas comment agir avec elle. Parfois, lorsqu'il lui rendait visite, ils avaient de longues discussions sur l'ancienne époque et sur leur passé. Puis parfois, elle se refermait complètement et ne lui adressait plus la parole. Il pouvait totalement la comprendre. Après tout, il avait commandité l'assassinat de son mari – à fortiori son ex-meilleur ami – et l'avait faite captive alors qu'elle aurait dût mourir également. Mais il n'avait pas pu s'y résoudre. Il n'avait pas pu accepter sa mort. Car, pour son plus grand malheur, Courtère était amoureux de cette femme. Terriblement et douloureusement amoureux. Depuis leur jeunesse jusqu'à aujourd'hui. Même si il avait d'or et déjà abandonné l'idée de la faire sienne. Après tout, elle restait tout de même un être impure, même si elle avait engendré l'être le plus parfait qui soi. La prisonnière ne lui servait plus qu'à une chose : attirer la reine dans ses filets et réveiller son pouvoir enfoui grâce à la douleur et le malheur. Courtère avait toujours été un très bon manipulateur et il captait très facilement les sentiments humains. Il prévoyait également très bien les réactions que pouvaient avoir ses semblables, etracs ou humains. Il savait qu'appuyer sur une plaie encore ouverte faisait plus mal qu'en créer une autre. Il savait également que la douleur pouvait rendre fou un homme et réveiller la partie sombre chez un individu. Contrairement à tous les autres pro-etracs avant lui, Courtère n'était pas le parfait dictateur. La preuve en était de cette faiblesse et cette réticence à exécuter son otage. Il n'en avait pas envie du tout. Ça le rebutait même un peu de devoir faire cela. Certes, il détestait tous les humains mais il pensait qu'il pouvait y avoir des exceptions. Il pensait que certains humains pouvaient également être choisis par Plokho lesu. Comme elle.
    Il secoua la tête. C'était insensé. Elle ne rallierait jamais son camps. Pas après s'être battue pour que les etracs soient les égaux des humains. Car cela signifiait qu'elle ne reconnaissait pas la toute puissance du peuple etrac mais la toute puissance de tous les peuples. Oh, qu'il avait pu aimer cette femme ! Et combien il regrettait aujourd'hui d'avoir croisé son regard. Car il allait devoir la tuer. Il allait devoir retirer la joie de ces yeux, éteindre la flamme, l'envie de vivre qui brûlait au fond de son cœur. Il allait prendre sa vie.
    Courtère s'affaissa légèrement sur le banc. Parfois, quand il était seul, il retombait dans ses années adolescentes. Quand la vie était encore paisible et que son seul souci était de réussir ses examens d'entrée. Quand son seul souci étaient de séduire la fille qu'il aimait. Quand son seul souci était de cacher qui il était vraiment. Il n'avait jamais eu honte de sa condition etrac, cependant il s'était rapidement rendu compte qu'il possédait un pouvoir exceptionnel. Incroyable. Il n'en avait jamais voulu à ses parents de l'avoir fait naître dans ce monde. Au contraire, par ce fait d'être unique, il avait développé une confiance en lui exacerbée qui s'était muée en narcissisme. Il serait le sauveur.
    Par la suite, en grandissant, il avait réalisé que ses pouvoirs d'etrac étaient plus puissants que ceux de ses parents ou que de ses autres amis. Par exemple, il pouvait créer des bras psychiques et avec, il pouvait écraser, déchirer, couper. Tuer. Il se rappelait ce jour de recensement etrac où un homme était venu chez eux pour évaluer leur niveau. C'était un etrac d'un réseau clandestin. Un historien, ou plus communément appelé un mémoriste par le peuple etrac. Les mémoristes étaient des etracs, souvent de niveau 0, qui à la façon des historiens humains, avaient décidés de retranscrire l'histoire etrac dans un livre. Courtère avait été un des premiers niveau 1 de stade 3 a être répertorié. Ses parents avaient accueillis la nouvelle avec frénésie. Leur fils ! Un prodige ! Déjà à cette époque, il arrivait qu'ai lieu des réunions clandestines chez eux. Des réunions pro-etracs bien évidemment. Petit, Courtère en restait éloigné, parce que pour lui, les discussions de grandes personnes étaient fastidieuses et sans commune mesure moins intéressantes que ses superbes jeux de cartes à collectionner. Plus grand, il avait comprit le véritable enjeux du parti et s'était engagé. C'était à cette époque qu'il avait fait la rencontre de Keela et Asmar. Ils avaient le même âge que lui et étaient éperdument amoureux. Asmar était devenu son meilleur ami et Keito sa meilleure amie, dont-il était secrètement amoureux. Il ne lui avait jamais révélé, même si il savait qu'elle était au courant. Il n'avait rien dit parce que malgré tout, il aimait Asmar, comme un frère. D'ailleurs, il avait essuyé une larme unique lorsqu'il avait dût l'abattre. Ça avait été cruel. Cette expression d’incompréhension sur son visage. Cette douleur profonde dans ses yeux. Ce regard qui disait «pourquoi me trahis-tu ?». Et Keela ne lui avait jamais pardonné cette acte barbare. Il avait tué l'amour de sa vie et ceci resterait gravé à jamais en elle.
  • Maître ?
  • Que veux-tu ? Marmonna-t-il à l'intrus d'un ton tranchant.
  • Je viens vous prévenir que nous venons de recevoir les nouvelles recrues de la garde rouge.
  • Bien.
  • Ils vous attendent dans la salle de balle pour le discours de bienvenue.
  • Combien sont-ils ?
  • Deux. Mais il y a quelque chose d'étrange maître, dit l'autre d'un ton inquiet.
  • Qu'est ce donc ? Demanda Courtère en haussant un sourcil d'un air altier.
  • Ils semblent...Eh bien...Ils paraissent, au vu de leur flux d'énergie et leurs examens sanguins...ils paraissent bel et bien...
  • Bel et bien quoi, que diable ! S'écria l'autre excédé de ce manque de réaction.
  • Ils paraissent humains.
    Courtère resta coït. C'était tout à fait impossible! Les etracs étaient repérables, si ce n'était par le flux énergétique, par une analyse sanguine, puisqu'ils produisaient des chloroplastes, organites permettant la photosynthèse et ainsi la transformation de rayons solaires en énergie. Or, apparemment, ces êtres en étaient dépourvus ! Normalement, ils auraient dût être incapable de développer les pouvoirs des etracs normaux. Il se leva, froissa sa tunique entre ses doigts et plissa les paupières. Il fallait qu'il observe cela au plus vite. Il s’engouffra donc dans le couloir qui menait à la salle de réunion, lieu où il accueillait les nouvelles recrues, qui servait également à leur mise à mort si ces dites recrues n'étaient pas réceptives à ses brillantes idées.
    Pour la première fois de sa vie, Courtère fut légèrement effrayé. Ce sentiment étrange le fit frissonner de plaisir et il le laissa l'envahir pleinement. Son cœur battit un peu plus vite, il sentit ses poils se hérisser avec délectation et sa bouche devenir sèche. Deux paires d'yeux rouges le fixaient. Un regard vide, profond et opaque. Opaque à tout endoctrinement, opaque à toute morale. Ces deux là étaient nés pour tuer, pour massacrer. Mais ils n'avaient pas été créés pour tuer les humains. C'était des hutracs de guerre. Ils étaient les plus grands acteurs du génocide etrac. Courtère se demanda comment ses hommes avaient pu passer à côté de ça, mais il se rappela rapidement que ses comparses ne pouvaient pas connaître la nature des deux humains qui se tenaient devant eux. Lui-même n'avait découvert ce secret que par hasard et il s'était bien gardé de l'ébruiter. Il ne voulait pas provoquer une panique générale parmi la population etrac qui peuplait son palais et ses alentours. Il soupira. Comme si il n'avait pas assez de problèmes! Courtère vint prendre place dans son large fauteuil de cuir et fixa les nouveaux arrivants, pensif. Il avait entendu parler de ces hutracs. Ces abominations créées génétiquement par les humains afin d’annihiler la race etrac, les élus de la Forêt.
    D'après ce qu'il avait lu, les hutracs étaient formés dès l'age de trois ans au combat et à la mise à mort ainsi qu'à la torture, qu'ils expérimentaient les uns sur les autres. A la façon de la garde rouge, les enfants étaient malmenés jusqu'à ce qu'ils atteignent un niveau jugé suffisant pour la guerre et étaient ensuite envoyés sur le champ de bataille. Bien sur, à présent, la guerre était terminée, la race etrac, interdite et les hutracs, oubliés. Le fait qu'il soit tombé sur ces deux spécimens était un miracle ou une malédiction. Ils ne devaient pas avoir plus de treize ans et semblaient en parfaite forme physique. Un garçon et une fille. Au poignet, un tatouage semblable à celui que portait Violetta. Ils portaient le numéro «1011000».
  • D'où venez vous ? Demanda le maître du domaine, avec lenteur.
  • Nous sommes d'Iryanthera, répondit le garçon d'un ton froid, plantant ses yeux rubis dans ceux de son vis-à-vis.
  • Dis plutôt que vous avez été créés là-bas...
  • Je ne vois pas de quoi vous..., se renfrogna l'autre, se comprenant découvert.
  • Trêve de bavardages, le coupa Courtère, dites moi immédiatement ce que vous venez faire ici ou je vous fait exécuter. Envoyer des hutracs chez moi ! L'Ordre rouge n'a vraiment pas froid aux yeux !
  • A vrai dire, murmura la jeune fille en prenant enfin la parole, nous nous sommes enfuis. Nous savions que vous recrutiez des etracs dans la garde rouge et nous avons profité de l'occasion. Je sais qu'on pourrai croire que nous sommes là pour mettre fin à vos agissements plus que douteux mais notre mission n'a rien à voir avec vous.
  • Quelle est-elle ?
  • Je ne peux malheureusement vous la dévoiler sans mettre ma vie en danger monseigneur...
  • Je vois...Une puce explosive...Plutôt ingénieux...
  • Écoutez, intervint le garçon, je vous en pris, nous souhaitons simplement nous nourrir correctement avant de reprendre la route. La mission qu'on nous a confié est ancrée en nous depuis notre naissance, nous n'avons pas le choix. Nous devons nous débrouiller pour la mener à bien, avec ou sans aide extérieure. Si vous nous venez en aide, je vous promet de vous jurer allégeance dès que notre mission sera terminée.
  • Bien...Ce marché me convient tout à fait...Larkil va vous mener à vos appartements. Mais avant, je souhaiterai connaître le nom de mes nouveaux invités.
  • Je me nomme Rael et elle, c'est Elia.
  • Bien, quand à moi on me connaît sous le nom de Courtère. Vous pouvez disposer.
    Quand les deux jeunes gens disparurent dans le couloir, suivant son fidèle serviteur Larkil, Courtère laissa exploser son contentement euphorique. Il explosa d'un rire tonitruant et rauque qui résonna en écho dans la salle du trône. Son trône équivalait pour le moment au fauteuil en cuir, mais un jour prochain, il aurait un autre, beaucoup plus royal que celui-là. Frissonnant de plaisir et d'idées machiavéliques, Courtère décida de retourner dans son petit jardin. Après tout, il avait désormais de nouveaux plans en tête grâce à l'arrivée de ces deux là. Il allait leur donner tout ce qu'ils voudraient et ensuite, il pourrait ainsi les rallier à sa cause. Avoir deux hutracs de son côté n'était pas de trop.
    Il n'avait pas encore retrouvé la reine qui plus est. Et plus elle grandissait, moins il pourrait la joindre à sa cause. En particuliers si elle était en lien avec les pirates. Ces imbéciles ne comprenaient rien à la noble quête que poursuivait Courtère. Il connaissait bien Labruyère et ses sbires et ceux-ci ne lui avaient d'ailleurs jamais fait confiance pour d'obscures raisons. Pourtant, Courtère avait tout fait pour s'intégrer. Mais ils l'avait rejeté. Pour ses idées extrémistes, bien sûr, mais surtout pour ses méthodes violentes et cruelles. Courtère ne faisait jamais dans la demi-mesure, en particuliers lorsqu'il avait des humains devant lui. La haine l'aveuglait. Il se souvenait d'un temps où il était plus gentil, plus compatissant. Il lui était même arrivé plusieurs fois de laisser la vie sauve à des prisonniers, humains ou non. Mais tout cela avait changé après la mort de ses parents. Ils les avaient vu se faire massacrer par les mêmes humains qui s'étaient prétendus ses amis quelques temps auparavant. Il avait eu le cœur brisé et la douleur l'avait rendu fou de colère. Une soif de sang et de revanche avait grandit en lui, renforcée par l'abandon de la femme qu'il aimait avec un etrac moins puissant que lui.
    Il n'avait jamais tout à fait pardonné à Keito d'avoir choisi Asmar. Il n'avait jamais totalement compris son choix non plus. Il était meilleur qu'Asmar, était plus fort, plus grand, plus beau et beaucoup plus intelligent. Alors pourquoi ? Certes, il avait commis plusieurs meurtres lorsqu'ils étaient ensemble, mais ça avait été pour son bien à elle qu'il avait fait tout ça. Il n'avait pas voulu la perdre.
    Courtère secoua la tête, c'était la deuxième fois aujourd'hui qu'il se laissait aller à ces mièvreries. Il valait mieux cesser immédiatement et se reconcentrer sur l'objectif à atteindre : la reine.




  • Dis Rael, tu crois qu'on va réussir ? Murmura Elia, allongée sur les draps de coton qui entouraient le lit.
  • Je l'espère. Je l'espère de tout mon cœur.
  • Mais lorsque notre mission sera accomplie, quel sera notre but ?
  • Vivre je suppose, comme des personnes normales.
    Elia resta perplexe. Elle ne comprenait pas tout à fait le terme «normal». En quoi était-elle différente des autres enfants qu'elle avait vu en arrivant? Elle pensait pourtant qu'ici, ils vivraient libres et en paix. Elle confronta son regard au reflet que lui renvoyait le miroir en face d'elle. Ils possédaient tous les deux une peau foncée, presque noire et leurs yeux étaient dorés à l'origine. Elle avait été un peu triste quand on leur avait injecté le colorant rouge dans les yeux. Ses longs cheveux blancs étaient ramenés en arrière par une natte et ses traits fins contractaient avec sa musculature très développée. Rael, lui, avait les cheveux courts et les traits durcis des enfants qui ont connu des événements difficiles. Elle ne savait pas d'où il venait exactement, elle l'avait rencontré au centre de formation de la garde rouge, mais elle l'avait reconnu tout de suite. Elle avait été attirée par lui. Elle avait su plus tard qu'ils avaient sans doute été créés en même temps puisqu'ils faisaient les mêmes rêves. Ces rêves étaient censés représenter leur future mission, à accomplir avant la fin de leur vie. Elia n'avait jamais vraiment compris non plus pourquoi on les avaient fait naître, si c'était pour semer le cauchemars et la désolation partout où ils passaient. Qui plus est, leurs pouvoirs étaient instables et on leur avait déconseillé de les utiliser avant leur quinze ans. Elia avait un mauvais pressentiment à propos de la mission. Elle tourna les yeux vers son compagnon. Celui-ci observait par la fenêtre le paysage. Il devait sans doute regarder les autres vivre cette vie qu'ils ne pourraient jamais avoir. Elia savait très bien, malgré son jeune age, qu'ils ne ressortiraient pas vivants de cette mission. Leurs rêves tournaient souvent au cauchemar et la personne qu'ils se devaient de tuer était plus que redoutable.
    Parfois, elle se réveillait en sursaut, les joues trempées de larmes et la peur étreignant son cœur d'enfant. Elle aurait voulu se cacher sous sa couette et ne plus en sortir. Mais les hutracs avaient une double menace pesant sur leur tête : le risque d'échouer en mourant ou la mort par abandon. En effet, si ils décidaient de ne pas accomplir leur mission, leurs dirigeants le sauraient. Ils actionneraient alors la micro-puce qui était implantée dans leurs deux cerveaux et cela entraînerait leur mort immédiate. Ils n'avaient aucunes échappatoires. Ils ne pouvaient qu'attendre la mort. Elle regarda autour d'elle. On ne s'était pas moqué d'eux en leur donnant la chambre. Elle était tout simplement magnifique. Un haut plafond, des murs en pierre recouverts de tapisseries colorées et de magnifiques lits à baldaquins. Sur le sol, des tapis s'étalaient pour recouvrir entièrement le sol de la pièce. De superbes tapis probablement importés d'orient. Elia reconnaissait les motifs qui sillonnaient les tissus orangés, rouges, marrons ou encore jaunes. Elle aurait pu suivre les courbes noires qui couraient sur les tapis à l'infini. Plusieurs plantes en pot étaient également disposées dans la pièce et elles dégageaient un parfum très agréable, presque soporifique. Ou peut-être était-ce les draps si confortables qu'on leurs avaient donnés. Ou bien était-ce les oreillers en plumes, si doux et si moelleux. Ou bien les matelas. Ou bien le fait qu'ils n'aient pas dormis sur un vrai lit depuis plus de trois ans. Ou bien était-ce parce que pour la première fois de sa vie, elle se sentait chez elle, en sécurité.
    Quand elle était petite, Elia croyait que la vie n'était qu'une souffrance ininterrompue. Elle avait torturé ses compagnons et ils l'avaient torturée. A l'âge de cinq ans, on lui avait appris à s'attaquer à un être et à le mettre à mort. Cette épreuve, particulièrement parmi celles qu'ils devaient affronter, l'avait profondément marquée. Au fond d'elle, Elia était toujours une petite fille, innocente, fragile et craintive.
    Son pouvoir était peut-être terrifiant pour les autres, mais il était encore plus terrifiant pour elle. Son corps contenait quelque chose qu'il n'aurait pas dût contenir et elle savait que son espérance de vie était largement réduite à cause de cela. De ce poison qui coulait dans ses veines, cette horreur qu'on lui avait inoculé. A plusieurs reprises, Rael lui avait dit qu'ils avaient été choisis pour cette mission, que c'était un honneur et qu'ils seraient couvert de gloire lorsque celle-ci serait accomplie. Elia, plus perspicace mais surtout plus méfiante, se doutait que se ne serait pas si facile. Elle avait appris, au centre, comment réfléchissaient les hauts dirigeants de l'Ordre rouge. Pour elle c'était clair: si ils menaient leur mission à bien et qu'ils ne revenaient pas vers Courtère par la suite, leur destin se résumerait à une mise à mort immédiate de ceux qui étaient censé les encenser.
  • Je le trouve magnifique ce palais en tout cas, remarqua t-elle distraitement.
  • Oui, approuva Rael. Sur le mur, il y a des endroits qui sont finement taillés. C'est incroyable ! En plus tout est fait de marbre ou de pierre ! Aucuns matériaux interdits, intéressant pour des profanes tout de même !
  • Tais-toi ! Siffla la jeune fille d'un ton paniqué. Si on t'entendais ! En plus, je te rappelle que le seigneur Courtère nous accueille avec sympathie et politesse. Cesses donc toutes ces gamineries !
  • Et c'est la fillette de treize ans qui me traite de gamin ? Rétorqua l'autre, sarcastique.
  • Toi aussi tu as treize ans je te rappelle !
    Elia se tut. Ou plutôt, Rael l'empêcha de continuer à parler en plaquant ses lèvres sur les siennes. Elle détestait quand il faisait ça. Pas l'embrasser. Ça non. Cependant, elle n'aimait pas qu'il se serve de ses désirs et de son attirance pour lui pour l'empêcher de se révolter. Elle le repoussa violemment et tenta de s'enfuir mais il la rattrapa et l'emprisonna contre un mur, reprenant ses tendres embrassades. Rael n'était jamais violent avec elle. Il pouvait avoir des paroles dures, mais jamais il n'avait porté la main sur elle ou avait été inconvenant de quelque manières que ce soit. D'après elle, c'était parce qu'elle était devenu sa famille. Elle avait été créée en même temps que lui, partageait les mêmes appréhensions, les mêmes sentiments confus face à leur destin et par-dessus tout, elle partageait avec lui un désir réciproque. Elle aimait sentir sa bouche courir le long de son cou, s'attarder à la naissance de sa nuque, avant de lui dévorer les lèvres, avidement. Elle se retrouva bientôt allongée sur le sol et, alors qu'il la déshabillait avec minutie, elle posa sa main sur son épaule, attirant son regard et lui indiquant d'un signe de tête qu'elle ne souhaitait pas continuer. Il lui sourit tranquillement et lui caressa la joue. Elia avait un peu froid, sa poitrine désormais à nu et ses vêtements éparpillés dans la pièce, aussi, Rael la porta jusqu'au lit et se coucha à ses côtés. Il était brûlant et elle savait qu'il était également excité. Cependant, ils n'étaient jamais allés aussi loin et elle souhaitait attendre encore. Non seulement ce n'était pas l'endroit mais ce n'était surtout pas le moment. Elle voulait, comme toutes les jeunes filles, quelque chose de somptueux et de magique. D'inoubliable.

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